Impulse ! Murmurez ce doux nom à l'oreille d'un amateur de jazz et celui-ci tombera immédiatement en pâmoison. Fondé par Creed TAYLOR et remplacé par Bob THIELE presque aussitôt, qui s'associe avec le mythique ingénieur du son Rudy VAN GELDER. La vie du label aura été courte mais intense, entièrement dévouée à promouvoir ce qu'ils appelaient "the new wave of jazz", ces artistes audacieux et entreprenants qui allaient forger ce qui était alors du jazz expérimental mais que l'on appelle aujourd'hui free jazz : John et Alice COLTRANE, Charles MINGUS, Albert AYLER, Shirley SCOTT, Pharoah SANDERS, Keith JARRETT font partis de ceux qui purent bénéficier de la passion de Thiele et Van Gelder pour enregistrer de la manière qu'ils entendaient.

L'histoire du label finira au début des années 70 lorsqu'il sera avalé par une plus grosse compagnie. Il laisse derrière lui un surnom qui veut tout dire : "The house that Trane built". Car John COLTRANE fut l'un des premiers artistes à être produit par le label et celui qui leur permit de se tailler une place dans le milieu. Mais aujourd'hui nous allons aborder l'un des tous premiers, parmi les quatre premiers en fait, disque produit par Impulse : Out of the Cool de Gil EVANS. D'emblée le titre veut tout dire. Gil EVANS est le génial compositeur et orchestrateur qui, associé à Miles DAVIS, à créer le cool jazz. Les deux comparses ont continué à collaborer ensemble, créant ensuite ce qu’ils ont appelés le Third Stream, une continuation de l’essence du cool jazz qui met en valeur l’aspect cinématique des morceaux : chaque piste de leur dernière collaboration Sketches of Spain est une vignette racontant une histoire différente. En dehors du cool, mais pas tellement que cela finalement, puisqu'il reprend ce même principe de musique cinématique pour ce disque. C’est entouré d’une fine équipe de musiciens qu’il a formé pour une série de concerts à New-York juste avant de rentrer en studio qu’il nous propose cinq pistes à l’atmosphère à chaque fois bien différentes.

Comparé à son travail avec Miles Davis, Out of the Cool paraît très épuré. Pas minimaliste, mais presque. Un coup d’œil au line-up nous apprend que de nombreux instruments et tout autant de musiciens apparaissent sur le disque, mais ne vous attendez pas à trouver ici de grandes explosions orchestrales : EVANS dilue lentement ses compositions, prenant son temps pour introduire un instrument, puis un autre… Il demande à l’auditeur d’être patient et d’accepter de se reposer pour bien en profiter. Le morceau d’ouverture « La Nevada » vous servira de test : si vous n’accrochez pas à cette composition originale de quinze minutes, il y a peu de chances pour que le reste vous plaise. Mais sinon, vous y découvrirez un morceau qui s’écoute comme une B.O. de film, comme un long générique d’introduction, ceux pendant lesquels la caméra nous emmène nous promener en ville alors que les noms défilent à l’écran. A l’inverse, la conclusion "Sunken Treasures" fait office de générique de fin mais sur un thème que l’on jurerait sorti d’un film policier avec Humphrey Bogart, de ceux ou les choses ne se terminent pas forcément bien. Entre eux deux, trois reprises. Il y a "Stratusphunk" de Georges RUSSELL, le passage le plus carré de l’album, celui qui donne l’impression d’écouter un disque de jazz standard, une reprise de Bertold BRECHT et "Where Flamingos Fly", un standard repris à la sauce EVANS, qui reprend la formule de "La Nevada".

EVANS a laissé parler son âme d’impressionniste pour nous peindre avec ses sons cinq morceaux qui sont comme autant de tableaux. Les critiques de l’époque et ceux d’aujourd'hui encore tombent sous son charme et en vantent à juste mérite la qualité des orchestrations. Pour autant je ne sais pas sur quel pied danser : je peux écouter cet album une fois et l’adorer, l’écouter une deuxième fois et m’ennuyer, me rabibocher avec sur une troisième écoute et bâiller pendant une quatrième écoute…Je ne suis pas sourd à la qualité de la musique, mais celle-ci ne parvient pas toujours à illuminer mon cœur de pierre. Mais peu importe mon avis fluctuant, Out of the Cool reste dans tous les cas une écoute à conseiller pour tous les amateurs de jazz, petits et grands.