A travers ce groupe trublion♦, il convient en premier lieu d’évoquer brièvement Gram PARSONS. Né en Floride en 1946, Ingram Cecil Connor III grandit dans le Sud. Son paternel, un musicien amateur dépressif se suicide alors qu'Ingram n’a que 13 ans. Sa mère, une riche héritière, se remarie aussi sec avec Robert Parsons, un gars tout aussi riche. Le bon Robert va adopter Ingram, devenu Gram et sa petite sœur. Sa mère décède d’alcoolisme quand Gram achève son cursus universitaire. Passionné de musique, Gram qui a commencé la musique dès 12 ans joue au sein de plusieurs petits groupes (The Pacers, The Legends, The Shilohs). En 65, inscrit à Harvard en théologie il décide d’arrêter ses études pour se lancer plus sérieusement dans la musique. Avec trois copains, il fonde l’International Submarine Band, enregistre une poignée de singles qui ne connaissent aucun succès. En Novembre, Gram enregistre au sein de l’ISB son premier et seul album avec trois nouveaux musiciens qu’il vient de recruter.

Après cette énième désillusion, PARSONS rebondit au sein des BYRDS, formation qui connait un succès grandissant malgré d’incessants changements de personnel. En aout 68, la sortie de Sweetheart Of The Rodeo marque le lancement du mouvement Country Rock alors que Parsons est viré du groupe par Roger McGUINN et Chris HILLMAN suite à son refus de participer à une tournée en Afrique du Sud pour cause d’Apartheid. Durant l’été Gram vient en Europe se découvre un nouveau copain en la personne de Keith RICHARDS. A peine rentré, Chris HILLMAN en manque de musiciens le recontacte, les deux musiciens montent alors THE FLYING BURRITOS BROTHERS rejoint par le bassiste Chris ETHRIDGE (ex équipier de Parsons au sein de ISB) et le steel guitariste Sneaky Pete Kleinow.

Confinés au Burrito Manor, une sorte de maison d’hôtes, Hillman, Parson et Ethridge composent à la va vite 9 chansons qu’ils incorporent dans leur premier disque. On sait que la marijuana et divers produits hallucinogènes coulaient à flot pendant cette retraite musicale, d’où le titre du disque. Mais en dehors de son titre, ce qui frappe le plus c’est bel et bien la pochette. On y voit quatre countrymen aux cheveux mi long arborant pour trois d’entre eux des costumes confectionnés dans l’atelier de Nudie Cohn, célèbre créateur de tenues western à paillettes, sequins, spécialisé dans l’excentrique et le tape à l’œil. En parlant d’esbroufe et de costard Kitsch, quoi de mieux que ces costards brodés de feuilles de marijuana, de coquelicots ou d’hippocampes. Pas sûr que la formule ait plu à l’establishment de Nashville.

Enregistré à Hollywood dans les studios d’A&M Records et produit par Larry Marks, un ancien de la Columbia, qui n’a probablement pas compris sur le coup à quels énergumènes il avait à faire, ce disque marque le lien entre Hillbilly classique et le Rock, deux tendances distinctes qui parvenaient à fusionner par le biais d’un changement de mode, d’une mutation socialo-politique, de deux albums n’ayant pas connu un énorme succès mais devenus cultes (Sweetheart Of The Rodeo et ce Palace doré des pêchés) et la sonorité d’une steel guitare involontairement pas bien accordée, le mésestimé Sneaky Kleinow étant sans le vouloir l’un des maillons de ce nouveau registre mêlant Gospel, Hillbilly, Rock et Folk Psyché. Le répertoire repose sur de solides mélodies comme en témoigne en ouverture l’excellent "Christine’s Tune (Devil In Disguise)" ⃰, morceau qui tombera dans l’escarcelle de nombreux groupes de Newgrass et de Bluegrass. Emmylou HARRIS, ancienne compagne de PARSONS, reprendra la chanson à son compte. Preuve de l’influence du groupe sur les diverses branches de la Country, "Sin City"° sera aussi bien repris par des formations Bluegrass (J.D. CROWE & The NEW SOUTH) que par les New Tradionalist (Steve EARLE) ou l’acteur chanteur Dwight YOAKAM. Nappé de banjo, mandoline et de guitare "My Uncle" retranscrit autant les influences Bluegrass que celles du Hillbilly revendiquées par le groupe.

La face B débute par un pur Honky Tonk avec "Wheels"◊, titre repris plus tard par Emmylou HARRIS, le KNOXVILLE GRASS ou Marty STUART. Autre Honky Tonk avec "Juanita" dans lequel la steel guitare est encore plus présente et qui peut combler aussi bien les amateurs de traditionnel que ceux du Country Rock. Changement total de direction avec « Hot Burrito #1 », une ballade sentimentale qui pourrait s’inscrire dans un disque de DR HOOK. Si les MAVERICKS de Raul MALO reprirent la chanson avec un certain cachet, Elvis COSTELLO et COWBOY JUNKIES en délivreront des versions qu’on n’attendait pas. Si cette première partie s’avère vite barbante et ennuyeuse avec son taux de sucre à faire frémir un diabétique, la seconde s’inscrit dans un répertoire Southern Rock plus captivant. DINOSAUR JR. reprendra le titre dans une version plus agressive tandis que BIG STAR, groupe d’Alex CHILTON, en fera un essai remarquablement transformé. "Do You Know How It Feels"▪ issu du répertoire de l’I S B sonne comme un Honky Tonk, seule différence par rapport à l’original, la présence d’un piano et une steel guitare plus accentuée. En fermeture, "Hippie Boy" pourrait presque s’annoncer comme une combinaison improbable de Gospel Country et de Tonk Psyché sous un saupoudrage d’une poésie bien barrée.

Terminons ce panorama par deux reprises issues des studios de Muscle Shoals et plus particulièrement du tandem Chips Moman/Dan Penn. "Do Right Woman", popularisé par Aretha FRANKLIN a connu un paquet de reprises valant leur pesant de cacahuètes : The SWEET INSPIRATIONS, William BELL ou le surprenant duo Judy CLAY/Bill VERA avant que les cowboys amateurs de paradis artificiels n’en délivrent une agréable version prenant ainsi l’amateur de Country à contrepied. Seconde bonne pioche avec "Dark End Of The Street". James CARR en délivrait une version crépusculaire et haletante pour le label Goldwax; on peut se demander si nos amateurs de Burritos n’ont pas été offusqué par la mièvrerie du duo Dolly PARTON/ Porter WAGONER qui massacrait ce chef d’œuvre avec allégresse. Le chant de la bonne Dolly sonnant comme une ingénue un peu comme celui de BARDOT quand celle-ci essayait de se faire sexy et faussement naïve au début des sixties. Nos cowboys sont probablement montés aux cieux avec cette superbe ballade à la sauce Soul.

Si vous n’êtes pas amateur de Country, ni de Country Rock tendance Acid, ce disque ne devrait pas vous émouvoir surtout si vous êtes européen et bien ancré dans le nouveau millénaire. Il se pourrait même qu’il passe directos à la poubelle. Un demi-siècle après sa sortie, ce disque a servi de référence et d’influence parfois subconsciente à de nombreux musiciens américains. Trois de ces BURRITOS BROTHERS ont laissé une trace indélébile dans le milieu de la Country Music. Un disque pas totalement abouti, cela était sans doute impossible vu la personnalité des différents membres et les substances qu’ils ingurgitaient, mais qui demeure paradoxalement historique dans l’histoire de la musique populaire américaine.

♦Certaines pochettes mentionnent The FLYING BURRITOS BROTHERS ou BURRITOS BROTHERS ou encore New FLYING BURRITOS. Il s’agit du même groupe même si la line-up a changé.
⃰ JJ CALE en composera un homonyme dans l’album Grasshoper.
° Il s’agit d’un titre homonyme à celui d’AC DC figurant dans Powerage.
◊Aucun lien avec l’instrumental dont s’est accrédité Norman Petty popularisé par les VENTURES.
▪Il s’agit d’un titre homonyme composé par Tom PETTY dans l’album Wildflowers