CHASING THE MONSOON est le nom donné à un projet étroitement lié au groupe KARNATAKA, traité plus loin en ces pages. À la base, c'est le titre d'un livre, carnet de voyage plutôt, le plus célèbre du journaliste Alexander Frater - décédé en ce début d'année - qui relate ses trajets en Inde en période de mousson (Chasing the Monsoon/À la Poursuite de la Mousson, 1990).

Un ouvrage qui a marqué Ian Jones plus que de raison, dans son mode de vie et son amour pour l'Inde ; rappelons que KARNATAKA emprunte le nom d'un des nombreux états du pays asiatique. Cependant, mis à part quelques sons de sitar par-ci par-là, le genre traditionnel indien s'efface au profit du celtique qui demeure le plus largement abordé par le groupe gallois depuis ses débuts. En sus de leur appartenance première au pop-rock et au progressif, naturellement.

En cela, CHASING THE MONSOON est différent sans l'être trop. On retrouve des éléments communs : le style pop-rock/prog, l'amour pour les voix féminines, les mélodies épiques autant que ciselées... En 2003, pendant l'enregistrement de Delicate Flame of Desire (troisième album de KARNATAKA), Ian Jones s'est rapproché de Steve Evans, producteur-magicien d'alors, et ils ont décidé ensemble de monter ce projet par la suite.

La réalisation de No Ordinary World est "sur le feu" depuis de nombreuses années quand enfin le projet aboutit, à l'automne 2019. Le fan tenu en longue haleine peut découvrir avec grand plaisir une nouvelle formule de la musique qu'il aime. Elle est proche du KARNATAKA millésimé 2010, en raison de la présence de Lisa Fury au chant (depuis, entre autres, elle incarne Stevie NICKS au sein de FLEETWOOD BAC, excellent tribute-band !).

On reste en famille, entre Ian Jones, Steve Evans, Lisa Fury et une belle mise en lumière du guitariste Ian Simmons (également spécialisé en illustrations de livres etc), qui est un vieil ami d'école des deux premiers. Enrico Pinna, guitariste de KARNATAKA est de la partie pour quelques titres, ainsi que l'inévitable – heureusement - Troy Donockley (IONA, MOSTLY AUTUMN, NIGHTWISH...), pour une assurance du maintien du saint esprit celte.

Jones et Evans voulaient cependant aller vers un son plus world, ambient/electro à la ENIGMA et ils y sont parfaitement arrivés. L'amour pour l'Inde se révèle dans plusieurs introductions "orientales" de titres ("Dancing in the Afterglow", le pavé "Ordinary World"), dans l'emploi de vocaux et divers effets, percussions ou cordes programmées. Ce qui donne à sourire, c'est que CHASING THE MONSOON, riche de ses batteries fortes autant que d'une basse groovy et mélodique, très en avant (sans parler des guitares évidemment), ne comporte aucun batteur !!

Evans, Jones et Simmons partagent le travail de ce côté-là, et l'illusion reste assez belle, tant les mini-solos et autres interventions de la batterie sonnent proches d'un véritable groupe progressif. La panoplie de moyens modernes, employée ainsi, nous fait même (chose assez rare pour être soulignée) tolérer Auto-Tune sur certains choeurs "space".

Encore une distinction avec KARNATAKA, c'est que le chant masculin y est très impliqué. Moins que Lisa Fury certes, mais Steve Evans et Ian Simmons participent également à la réussite de l'opus. Le timbre et les harmonies font parfois penser à Trevor Horn voire Jon Anderson au sein de YES, la folie et les aiguës permanentes en moins. Ce qui est sûr, et là par contre d'un bout à l'autre, c'est que la qualité d'écriture de Jones & co est restée intacte !

Cela vaut pour les morceaux avoisinant les 10 minutes ou n'en faisant que 2'30 comme le très beau "Lament", tout en arpèges acoustiques splendides survolés par les uilleann pipes de Troy Donockley (instant "Ommadawn part 2" de Mike OLDFIELD, dirait-on). À côté, on a les guitares électriques fracassantes de "Chasing the Monsoon" sur tempo funk, lyriques "à la David Gilmour" sur d'autres titres...

L'intro de "Dreams" fait d'ailleurs penser à "Keep Talking" (PINK FLOYD) et la ballade "Love Will Find You", sur plus de huit minutes, rend hommage à "Breathe" (The Dark Side of the Moon) avec tant d'ingéniosité et de beauté, ainsi conduite par la voix fine de Lisa Fury et l'ambiance cosmique, qu'on voudrait qu'elle ne se termine jamais. La fragile "Circles of Stone" va dans le même sens positif, comme la partie "Dreams"/"Into the Light" et le final "No Ordinary World" avec plus de dynamiques au goût progressif, mais aussi de refrains pop extrêmement bien tournés et placés.

CHASING THE MONSOON, c'est un peu ce que MOSTLY AUTUMN a eu du mal à faire sur ses albums de la décennie 2010. Il y a ici l'évidence, et à côté de cela, "l'ouverture" (electro, world) joue beaucoup. Mis à part quelques longueurs très légères dans les moments ambient, No Ordinary World porte bien son nom et reste un voyage pop/prog/world/new-age absolument splendide, marquant, donnant envie d'y revenir. Cela valait le coup d'attendre si longtemps !