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LUNEAR - Curve. Axis. Symmetry. (2020)
Par MARCO STIVELL le 29 Avril 2020          Consultée 2797 fois

"L'éternité, c'est long, surtout vers la fin." (Franz Kafka)

Le sujet de l'existence sans fin est récurrent dans les préoccupations de tout-un-chacun, les thèmatiques religieuses et ésotériques, mais aussi dans les oeuvres artistiques. Prenons, au hasard, le cinéma ou les séries. Highlander de Russell Mulcahy (1986) par exemple, où le héros est déjà immortel. Dans la série Alias (2001-2006) ensuite – SPOILER -, où le méchant cette fois, un terrien lambda, est prêt à tout pour obtenir la vie éternelle et y parvient mais en devant rester enseveli sous les décombres d'un temple, et à jamais, ce qui lui laisse assez de temps pour se repentir – FIN DU SPOILER. Enfin, The Good Place (2016-2020) aborde la vie après la mort, notamment le fait d'apprécier, au début, sa nouvelle condition et, au bout d'un moment, de ne plus pouvoir la supporter.

Lorsque le groupe français de pop progressive LUNEAR publie son premier album en 2018, il ne songe pas nécessairement à en faire un deuxième, sauf Paul J. No qui veut relancer direct la machine, sans doute motivé par l'envie de combler le manque de créativité de son idole Tony Banks (GENESIS), depuis vingt ans à présent. Dans l'envie, il y a aussi celle de faire différent par rapport à Many Miles Away, une chanson de départ, longue de 10 ou 20 minutes sur le thème de l'éternité mais une telle durée ne peut suffire et la question d'un album-concept arrive vite.

Seb écrit une histoire et un premier jet de paroles en quatre heures, auquel il n'apporte que peu de corrections ensuite. En puisant dans les références cinématographiques susmentionnées, Alias surtout, cela aboutit donc à une histoire de vie éternelle, pour une femme (mais les paroles sont tournées de façon neutre), dont le nom est caché quelque part dans la musique ou sur le verso de la pochette-même. Paul et Jean-Philippe, quant à eux, se partagent la composition musicale, à laquelle Seb ajoute plusieurs mélodies. Une rampe de lancement pop-rock à guitares grasses, phaser sur la batterie et autres effets cosmiques, et l'héroïne peut commencer son voyage dans l'après-vie.

Dès le départ ("Leminiscate"), elle est confrontée à la sensation d'infini, dont le symbole est inscrit sur la pochette et justifie le titre Curve. Axis. Symmetry (le point de rencontre de la courbe au milieu crée effectivement un double axe de symétrie). Il faut aussi savoir que c'est un triple clin d'oeil aux artistes qui passionnent tant Sebastien Bournier, Jean-Philippe Benadjer et Paul J. No : les initiales CAS évoquent celles des albums Calling All Stations de GENESIS et Clutching At Straws de MARILLION ; Hand. Cannot. Erase. de Steven WILSON ensuite, a dicté le forme.

Dans "Leminiscate", la nièce de Paul J. No, Kora, récite le titre et la formule mathématique du symbole infini. C'est donc un départ prenant pour l'héroïne comme l'auditeur, avec des voix en choeur, des synthés et guitares à l'unisson, des rythmes parfois ternaires qui constituent à leur tour une spécificité de l'album. Au moment où l'héroïne laisse derrière elle son ancienne vie de mortelle ("First Death"), Paul place quelques accords de piano Yamaha CP-80, "à la Tony Banks" !

L'héroïne se dit qu'elle ne veut pas gâcher sa vie nouvelle, et "Same Player. Shoot Again" incarne bien cette arrivée de sensations, possibilités sans fin. Un single évident, une chanson pop-rock épique et mélancolique à la fois, superbement écrite et chantée à plusieurs, où la batterie crée de belles différences. C'est le ravissement, puis la désillusion face à l'éternel recommencement (comme dans le film Un Jour Sans Fin de Harold Ramis, 1993), jusqu'à l'ennui total sur "Nothing Left to Do", et la prise de conscience écrasante de ne plus rien pouvoir faire. Par contraste, c'est une belle pop-folk lente, dotée de splendides harmonies vocales. L'instrumental "A Passage of Time" renvoie de nouveau à GENESIS, grâce au Mellotron et aux arpèges acoustiques délicats.

L'héroïne voit défiler les millions d'années et assiste progressivement à la fin de toute vie sur Terre, de celle-ci même pendant les deux chansons suivantes. On note un "Rise and Fall of Earth" aux guitares funk lentes bien balancées, une jolie mélodie en voix de tête et toujours monsieur Mellotron. Puis c'est la fin, on a une super géante rouge - le soleil absorbe la terre - qui devient plus tard une naine blanche. L'intro de "Earth's Population: One" (l'héroïne est seule, bien seule sur ce qui reste de la planète !) est le moment le plus prog du disque et le plus abrupt, le seul moins convaincant aussi – c'est dire la qualité globale. La partie chantée, nettement meilleure, rend hommage à YES.

La phrase de Kafka trouve tout son sens dans une deuxième partie plus lente, moins variée mais sans que cela change quoi que ce soit à la qualité du disque. L'éternité s'étire pour l'héroïne qui ne peut pas respirer, supplice de tous les instants alors qu'elle dérive au milieu des étoiles : "Adrift", voyage musical "space" où boîte à rythmes, batterie, chorus sur guitares et voix nous envoûtent. Et ce solo de guitare par Jean-Philippe !

Sur un mode piano, synthés rêveurs et ballade sensible, l'héroïne voit un point bleu au loin ("From Its Sky") et espère que c'est une planète, que sa trajectoire lui permettra de l'atteindre, qu'elle pourra tout recréer... Et ce solo, encore meilleur ! C'est la chanson-miroir de "Nothing Left to Do", avec des arrangements différents, un peu comme sur l'album de GENESIS en 1974, "The Lamb Lies Down on Broadway" devenue "The Light Dies Down on Broadway".

"Forever" enfin avec son traitement blues de toute beauté (basse et Mellotron en avant) puis l'épilogue acoustique "First Death" sont une ouverture sans limite car il ne peut y avoir de fin, ou presque. L'héroïne arrivera-t-elle à son objectif de terre nouvelle, supporter le fait d'avoir vu trop d'étoiles, de vies, de morts ? Une fin de l'univers (plutôt que le supposé "big crunch" des scientifiques, l'effondrement, LUNEAR préfère utiliser "big freeze", "grand gel") peut-elle être la solution ? En tout cas, cela vaut vraiment la peine de se poser la question en (ré)écoutant Curve. Axis. Symmetry., cet album-concept très réussi. Peut-être pas à l'infini, ceci dit !

http://lunearmusic.com/
(pour écouter) https://lunear.bandcamp.com/

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   MARCO STIVELL

 
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- Jean-philippe Benadjer (guitares, basse, chant)
- Sebastien Bournier (batterie, chant, guitares)
- Paul J. No (claviers, chant, guitares)
- Kora (voix)


1. Leminiscate
2. First Death
3. Same Player. Shoot Again.
4. Nothing Left To Do
5. A Passage Of Time
6. The Rise And Fall Of Earth
7. Earth's Population: One
8. Earth's End
9. Adrift
10. From Its Sky
11. Forever
12. First Death (epilogue)



             



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