SMOKEHOUSE (le Fumoir) enregistre son troisième opus en 1995 via le label Kingsnake Records, propriété du regretté Bob Greenlee, producteur, bassiste et saxophoniste à ses heures perdues. On ne reviendra pas sur l’historique du combo floridien (voir la chronique d’Edge Of The Swamp). Après deux albums édités par Ichiban en 1991 et 92, le quatuor retombait sur ses pattes en retrouvant son producteur fétiche.

Si le groupe est issu de Smyrna Beach (Floride) au nord-est d’Orlando, le répertoire nous immerge d’entrée de jeu entre les rives boueuses du Mississippi et des bayous louisianais. Il faut dire que la lisière entre les marécages des Everglades et ceux de Golfe du Mexique peut s’avérer des plus ténues.
En 1995, le combo vient de subir quelques changements de line-up : Ture "Lafoote" a pris un chemin de traverse, remplacé par le batteur Ronnie "Byrd" Forster (ex-Roy BUCHANAN, The Midnight Creepers) tandis que le bassiste Gary Bavis a préféré stopper l’aventure, remplacé tout naturellement par Bob Greenlee. Mais on peut se demander si le producteur bassiste n’était pas l’âme du band avec l’inamovible "Packrat" Thompson ?

Au milieu des années 90, alors que le Swamp Blues ne vivotait qu’à travers la fratrie de Kenny et Raful Neal, les guitaristes Selwyn Cooper et Lil Buck Sinegal et du vétéran Lazy LESTER, SMOKEHOUSE faisait office de véritable épouvantail, à tel point que de nombreuses vedettes du moment auraient refusé de se produire derrière eux lors des grands festivals, un procédé qui leur évitait de se ramasser un solide camouflet. Toujours est-il que malgré d’immuables changements de membres, SMOKEHOUSE est au milieu des nineties l’un des groupes-phare du Swamp, alors que le registre tombait en désuétude avec les départs de Clarence EDWARDS et Lonesome SUNDOWN pour le paradis.

Cadillac In The Swamp, c’est déjà une pochette qui diffuse à elle seule un sentiment troublant. On se demande ce que vient faire cette Cadillac dans les bayous et si elle va rouler sur l’alligator qui lui barre la route. La pochette dorsale nous apprend que le gros cube a passé sans encombre l’obstacle reptilien. Le visuel intérieur s’annonce plus ambigu : si l’harmoniciste "Packrat" Thompson et son fidèle complice Robert Thomas sont bien peinards sur le siège arrière, le conducteur endimanché n’a plus de tête.

D’entrée, après un bref roulement de baguettes, "Nice N Round (355Lbs)" nous plonge au cœur des rives du Delta, tandis que la voix grondante pérore sur une dame aux formes plus que généreuses. Changement de direction avec "Hoodoo Woman Blues", sous l’enrobage d’un harmonica geignard et obsédant, l’orgue de Dwight Champagne (ex-Floyd Miles et futur Sonny Rhodes) instaure un climat variable oscillant entre le froid d’une église et la chaleur suffocante des marais. Sous couvert d’un harmonica strident et d’une basse hyper ronde, "Mr. So And So" se déguste comme un excellent shuffle. On croirait par moment entendre Whispering Smith. Avec "American Dream", le combo nous plonge violemment dans un univers proche de Lonesome Sundown. La guitare tente vainement d’imprimer un sentiment rassurant tandis que l’harmonica de son côté nous fait douter de ce rêve. Même sentiment avec "Cadillac In The Swamp", ce long slow swamp blues d’environ 6 minutes monte crescendo. Si la voix rappelle le timbre parfois menaçant de Clarence EDWARDS, "Packrat" Thompson tente de rassurer l’auditeur tel le prédicateur avec ses brebis égarées. La rythmique presque squelettique ne cesse d’imposer un tempo dont on ressort invariablement trempé jusqu’aux os. Le groupe sait aussi faire preuve d’un peu plus de fantaisie, "Low Down Rider" avec une guitare plus légère évoque Slim HARPO. Même chose avec "Mississippi Quickie" qui nous entraîne dans une mouvance entre le "Shake Your Hips" de Slim HARPO et celui de MERCY, le trio français de Jean-Paul Avellaneda. "Crack Smokin’ Blues" nous ramène vers une sonorité plus rurale, un peu dans le giron d’un Lightnin’ SLIM ou de Silas HOGAN, autres grands et regrettés pionniers du Swamp. La chanson véritable mise en garde sur les effets du Crack impulse un climat plein de désarroi, un vrai spleen bien cafardeux. Le disque s’achève avec "Martin Luther The King", un hommage au personnage central du Civil Rights Movements. A travers une mélodie à cheval entre la Nouvelle Orléans et un hymne religieux renforcé par trois choristes féminines, le groupe délivre ici un gage fortement respectueux envers le pasteur tué à Memphis le 4 avril 68.

Avec Cadillac In The Swamp, le groupe floridien nous délivrait un disque puissant salué par la presse spécialisée. Nos confrères de Living Blues classaient le CD dans le Top 3 des productions Blues de l’année 95. La basse pleine de rondeur, une rythmique qui va a l’essentiel, une voix expressive rappelant parfois les intonations d’HOWLIN' WOLF et de Clarence EDWARDS, une guitare aérienne pleine de sobriété et un harmonica capable de phases euphoriques et entraînantes aussi bien que de passages plaintifs plus sombres sont les meilleurs atouts de ce disque. Ajoutons-y une production sans surenchère, simple et allant à l'essentiel, comme souvent chez les publications du label Kingsnake. Un groupe aussi sincère qu’authentique. Une belle invitation au voyage entre la Floride, Le Delta et les bayous louisianais. Le groupe s’est reformé sous le nom de PACKRAT SMOKEHOUSE avec trois de ses membres fondateurs. Souhaitons qu’un programmateur audacieux fasse venir le groupe en Europe.