En premier lieu, examinons rapidement cette belle pochette qui résume à elle seule l’Amérique de la fin fifties. On a là un beau jeune homme qu’on dirait sorti tout droit d’une publicité pour un dentifrice et un fauve et pas n’importe lequel, un vrai prédateur, sauf qu’il fait plus penser à Tigrou (qui n’existait pas encore) qu’au tigre du Bengale. N’incriminons pas FABIAN, plus que nécessaire, celui-ci n’est nullement responsable de ce visuel atypique ni d’une époque où de nombreux petits producteurs à la manque essayèrent de fabriquer de futurs Elvis.

Fabiano Anthony Forte est originaire de Philadelphie où il voit le jour en 1943. Aîné d’une famille comptant trois garçons, Fabiano se passionne très vite pour la musique, il chante dans la chorale de son collège. En 1957, alors que son paternel policier vient de subir une crise cardiaque, Bob Marcucci repère le jeune garçon. Producteur ambitieux, Marcucci est le patron de Chancellor Records, une maison de disques qu’il a fondée deux ans plus tôt avec l’argent de papa et maman. L’italo-américain n’a pas à aller chercher bien loin pour remarquer Fabiano, ils sont voisins. Sous prétexte d’aider la famille, Marcucci va mettre le grappin sur l’adolescent, persuadé d’en faire un nouveau King ou un Ricky NELSON.

Il faut dire que Chancellor Records a bien du mal à boucler ses fins de mois, hormis Frankie AVALON pas un seul microsillon ne parvient à grimper dans les charts. Marcucci enregistre pourtant Eddie Fontaine qu’il vient de chiper à Decca et qui se fera bientôt connaitre comme acteur de séries télé, mais l’affaire s’arrête au bout d’un unique single, Fontaine rejoignant Sunbeam et la Warner sans plus de succès. Marcucci est un dénicheur de talent avisé et retord, il repère dans la communauté italienne de son quartier de jeunes interprètes qu’il rebaptise d’un nom bien américain, à l’image de la chanteuse Jodie SANDS ou de Frankie AVALON et les immerge dans une nouvelle mouvance la Teen Idol, registre regroupant pèle mêle variété, Rock bien édulcoré et Pop. De la Soupe qui peut rapporter et qui mise plus sur le sourire et l’apparence des chanteurs que sur le contenu musical.

Fabian avec son beau sourire enregistrera 17 singles pour Chancellor. Certains titres seront édités en format EP 4titres, Sonet en Suède et Président Hi Fi en France en publieront une grosse partie. Si aujourd’hui certains de ces titres peuvent faire sourire, il ne faut pas oublier que Fabian n’avait que seize ans lorsqu'il enregistra ces faces. Harcelé moralement par Marcucci, Fabian claquera la porte des studios Chancellor deux ans pus tard. Le jeune chanteur entamera une carrière dans le cinéma, tournant notamment avec James Stewart. On le verra dans plusieurs épisodes de séries télé, mais son plus gros rôle au cinéma demeure celui de Billy Pratt, le jeune frère de Stewart Granger dans le western "North To Alaska" (Le Grand Sam) avec John Wayne et Capucine.

Fabiano Forte, rebaptisé par Marcucci FABIAN, demeure le propriétaire de 11 titres places dans le Hot 100 dont 3 dans le Top Ten, une performance assez louable au vu de sa brève période. En 1959, Marcucci décidait qu’il était temps de lancer son poulain dans le grand bain avec un premier album, "Hold That Tiger" faisant suite à deux disques de Frankie AVALON. Curieusement, Marcucci ne reprend ici que deux titres publiés en singles, les deux faces clôturant le disque. Choix stratégique discutable et non payant. Si "Turn Me Loose", un Rock mid tempo privilégiant dramatisme composé par le tandem Mort Shuman/Doc Pomus s’avère toujours aussi intense, "Steady Date", une compo du producteur, se range dans la flopée des titres de variétoche américaine surfant vaguement et gauchement sur le registre Rock'n'Roll.

Avant de lancer son label, Marcucci composait tant bien que mal des chansons. "Just One More Time" vaut surtout pour son bref solo de guitare et se range dans la même lignée que le précédent. On retrouve pas mal de mid Rock proposant une sonorité entre le Nashville Sound et diverses productions tentant d’imiter Johnny BURNETTE, Ricky NELSON. "Please Don’t Stop" évoque certains Tonks énergiques de Johnny HORTON, mais le titre se rapproche plus de la rillette industrielle que du foie gras élaboré par un petit producteur. "Lovesick" aurait pu faire illusion s’il n’avait pas été inondé de chœurs aussi intempestifs qu'indigestes. "Love Me, Love My Tiger" a de quoi faire sourire plombé par le ridicule des paroles. On goûtera plus "Gonna Get You" plus dynamique.

Pour faire craquer les midinettes et accessoirement terminer les surboums américaines, FABIAN nous délivre quelques ballades sentimentales,sans grand intérêt tant au niveau des arrangements que des mélodies : "Hold Me (In Your Arms)", "I Don’t Know Why" enfin "Cuddle Up A Little Closer" issu d’un Ragtime humoristique s’avère bien obsolète. Repris par Doris DAY et Dean MARTIN, cette version soporifique ne parvient pas à nous faire esquisser le moindre sourire, ce qui est tout de même gênant pour une chanson comique. "Don’t You Think It’s Time" une compo de l’harmoniciste Wayne Raney devrait évoquer à certains un hit de PRESLEY. Terminons ces modestes lignes par "Tiger Rag", standard de l’Original Dixieland Jass Band, le titre a été repris à toutes les sauces. Si Django REINHARDT, Louis ARMSTRONG ou Chris BARBER en délivrèrent des instrumentaux qui tiennent bien la roue, FABIAN redonne un coup de jeune et dépoussière le titre.

Ce premier disque s’inscrit en droite ligne de la sphère Teen Idols, à l’image de Bobby VEE, Frankye LYMON, Bobby RYDELL ou Annette FUNICELLO. Popularisé par des émissions télé comme l'American Bandstand, l'Ed Sullivan Show ou bien encore le Dick Clark Saturday Night, FABIAN délivre un disque bien dans l’ère de son temps. Seuls trois titres parviennent aujourd'hui à émerger, la faute à un producteur âpre aux gains, une orchestration du genre bouche trou et des chansons peu inspirées. Fabian Forte se produit toujours dans le circuit rétro, se consacre à des galas de charité et ne s'est jamais considéré comme une star. Un disque anecdotique, on conseillera aux amateurs de Rock Teen de se pencher sur une compilation. Note réelle 1,5.