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1963 Melocoton
1966 Snarkose

Colette MAGNY - Snarkose (1966)
Par K-ZEN le 13 Mars 2021          Consultée 679 fois

(« L’incohérence est préférable à l’ordre qui réforme ». W.S. Burroughs ;
« Nous rappelons qu’il s’agit d’inventer des jeux nouveaux ». G. Debord)

Colette MAGNY est-elle réellement underground ? A l’époque, c’est-à-dire dans les années soixante, la question se posait. A ce stade de mon exploration discographique, j’en étais aussi à ce point. Les premiers EPs ne m’avaient que moyennement emballés, ce feeling blues/jazz ne me parlait pas tellement, c’était presque trop beau, gentillet. Pourtant, le titre "Melocoton" – croqué au cœur de son EP dans ces mêmes colonnes – allait faire un tube colossal en 1964. Elle était alors présentée dans les journaux comme la nouvelle Billie HOLLIDAY à la sauce Bord de Seine. Elle chantait le blues, assez élégamment, avec un accent anglais parfait, bien que l’on sentît quand même par instants fugaces un bouillonnement intérieur qui ne demandât qu’à sortir.

Il finit par se matérialiser, une rupture après avoir décroché la timbale. Le départ du label CBS, au profit du Chant du Monde, proche du Parti Communiste, première étape d’un voyage en pays radical qui la mènera à enregistrer avec les enfants de l’Institut médico-pédagogique situé à Fontenoy-le-Château un disque unique et hors-normes.

Entre ces deux points de non-retour, elle travaillera une mixture sonore assez unique, faite de "cris et chuchotements", de colère et non-dits que l’on attable, tirés de textes écrits par Gil Vicente, Rainer Maria Rilke ou Antonin Artaud, greffés sur des musiques élaborées par les francs-tireurs du free jazz en plein bouillonnement créatif à l’époque.

J’ai bien senti la transformation. Cet instant où l’artiste commence véritablement à me passionner. Les minis Bura Bura. Avec. Snarkose.

Snarkose d’ailleurs ? Kézako ? J’ai bien trouvé narcose, un sommeil pouvant être provoqué artificiellement à l’aide de substances tierces. Mais avec un c. Le s a sans doute été ajouté, peut-être pour provoquer cette difficulté, cette cassure à la prononciation du mot. Un hommage à Carroll avec un nouveau néologisme. Le mot m’évoque personnellement non moins qu’une matière grise inodore cancérigène, un charbon, les travailleurs souterrains, ce vieux film américain avec Harry BELAFONTE où l’acteur incarne un mineur prisonnier sous le sol plusieurs jours avant de finalement pouvoir remonter à la surface et ne trouver personne, comme si 100 ans s’étaient écoulés entre-temps. Des airs de Je Suis Une Légende fendent l’air.

Mais revenons à l'EP. Celui-ci arbore une pochette emblématique, où l’esthétique du Chant du Monde s’affiche sans vergogne : un cliché en noir et blanc inversé de Colette, un lettrage post-constructiviste, où diverses polices se mélangent à l’instar des lettres anonymes malveillantes. Jacques DEBOUT, membre du groupe SOIXANTE ETAGES, plume de fanzines (Revue & Corrigée, Hello Happy Taxpapers) et éminente figure de l’Underground français le décrit ainsi : « une sorte de fétiche personnel fait de quatre titres où la métrique de Lewis Carroll ou Max Jacob percute les compositions de Michel Puig dirigées par Diego Masson, élève de Pierre Boulez ».

Séisme, tempête, peur… Snarkose c’est une dizaine de minutes insoutenables. Des siècles ou des scènes de guerre. Mai 1968 est sur les rails des pavés. Les étudiants. Les barricades. Les poutres dans la Sorbonne. Déchets ou échardes. Hostilités.

"Jabberwocky" lance les premiers cris. Le terme désigne le poème élaboré par Lewis Carroll apparaissant dans De l’Autre Côté du Miroir, Alice devant utiliser une glace pour le lire car écrit à l’envers. En manipulant la langue et les mots, en inventant le mot-valise (qu'il appelle "portmanteau" en référence au mot français "porte-manteau"), Lewis Carroll créé une révolution dans le monde de la poésie, mais également un défi à l’encontre de ses futurs traducteurs car outre se perdre dans les méandres du langage, ils devront également se plier à une exigence texturale. Un exercice complet : entre rythme, musique et sens. La traduction d’Henri Parisot est souvent citée en exemple, élaborée en 1946. Hyper flippante, malaisante, la vision des horreurs est parfaitement croquée sur une musique libre.

Dans une syntaxe similaire, pourriture gratuite et inconfort, suit "Malachites". Espèce minérale appartenant au groupe des carbonates minéraux, on en trouve en république démocratique du Congo, ce qui ne doit sans doute rien au hasard quant à son évocation, le pays étant secoué de graves instabilités à cet instant. Le texte se tient au milieu d’un pont entre surréalisme et aspect politique concret. On songe bien sûr à Tim BUCKLEY, qui utilisera sa voix en tant que premier instrument illuminant ses enregistrements, Starsailor en tête. Un vibraphone affiche sa vantardise. "L’écrivain a joué de la flûte, ET il a évoqué le diable".

Colères, silences, violon, drone. L'EP se termine toujours dans la marche et le fracas, surplombés par les effluves de l’incroyable "Bura Bura" dégoulinant de manière adipeuse du "Portrait " et traitant des maladies dues à la contamination atomique. Des lignes s’infiltrant à travers toutes les pores de la peau, le césium-137 saharien prenant sa revanche non-élucubratrice près de soixante ans plus tard.

(LINGUA IGNOTA, après Filosofem et le discours de Néron se félicitant de la destruction de Rome mis en musique par le duo SCHAEFFER/STOCKHAUSEN, nourrirait-t-elle une félicité pour Colette ?)

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- Colette Magny (chant)
- Diego Masson (direction)
- Gérard Jarry (violon)
- Raymond Guiot (flûte)
- Michel Portal (clarinette)
- Jean-françois Fels (saxophone)
- Jean-pierre Drouet (percussions)


1. Jabberwocky
2. Malachites
3. La Marche
4. Portrait



             



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