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- Style : Bob Dylan , Captain Beefheart

Tom WAITS - Blue Valentine (1978)
Par K-ZEN le 4 Juillet 2024          Consultée 656 fois

Un évènement majeur survient dans la vie personnelle quelque peu désordonnée de Tom WAITS juste après la publication de Foreign Affairs.

Alerté par Chuck E. WEISS, WAITS rencontre son alter ego féminin Rickie Lee JONES devant le Troubadour où elle avait commencé à se produire lors de certaines soirées. L’esprit libre et frondeur de la jeune femme séduit immédiatement le chanteur tant et si bien qu’ils sortent rapidement ensemble, partageant des centres d’intérêts communs tels l’alcool, le jazz et les écrivains Beat, dont ils rejouèrent d’ailleurs le ménage à trois formé par Kerouac, Neal et Carolyn Cassady avec WEISS.

Le manque ressenti à l’égard de Rickie Lee ajoutait désormais à la difficulté de tournées déjà pénibles et aux questions existentielles qu’il se posait concernant sa musique. WAITS résidait toujours au Tropicana mais il le voyait se transformer peu à peu, attirant un nombre toujours plus croissant de New-yorkais et Londoniens via l’avènement de la scène punk que le chanteur méprisait. Ce fossé se creusant atteignit son paroxysme un dimanche de février 1978 qui vit WAITS et WEISS s’embrouiller sévèrement avec une formation punk locale : les BAGS. La tournée au Japon le convainquit de définitivement remiser au placard ce rôle de clochard bohème alcoolique qui avait fait son temps. Il était déterminé à étoffer sa panoplie, songeant à un projet d’écriture, à poursuivre sa carrière d’acteur entamée sur Paradise Alley via un rôle de pianiste miteux nommé Mumbles proposé par Sylvester Stallone et surtout à réformer son répertoire.

Il décide ainsi de quitter le Tropicana et de troquer le piano contre la guitare. Les premières séances d’enregistrement pour Blue Valentine débutent le 24 juillet mais WAITS les suspend rapidement afin d’injecter du sang neuf parmi ses musiciens. Désirant une atmosphère plus tamisée, le chanteur californien engage le batteur Ricky LAWSON, le guitariste Roland BAUTISTA, un George DUKE camouflé sous un pseudonyme au piano électrique – une présence purement ironique, WAITS détestant cet instrument après avoir été contraint d’en jouer pendant les tournées avec ZAPPA – et la doublette Byron MILLER et Scott EDWARDS à la basse. En outre, Herb HARDESTY, saxophoniste pivot chez Fats DOMINO, et Earl PALMER, derrière les fûts sur l’immortel tube de LITTLE RICHARD "Tutti Frutti" sont également conviés, confirmant l’hommage au blues néo-orléanais et la coloration R&B à l’ancienne dont WAITS désirait qu’il irriguât son nouveau disque.

Blue Valentine commence pourtant là où Foreign Affairs s’était arrêté avec "Somewhere", ballade orchestrale parmi les préférées de Rickie Lee empruntée à West Side Story, bloc d’émotion pure manifestant le désir d’un ailleurs idéalisé qui serait libéré des conflits et de la violence. "Kentucky Avenue" se fait encore plus déchirant, WAITS y évoquant sans filtre à son piano son enfance, l’aspect dramatique se trouvant renforcé par les violoncelles ajoutés par Bones Howe. Le chanteur regrettera amèrement par la suite de s’être autant mis en danger sur une musique trop sirupeuse à son goût.

Puis les lumières se tamisent doucement, baignant une urbanité nocturne peuplée de divers personnages étranges. Rickie Lee en premier lieu, omniprésente y compris sur les photographies réalisées en vue d’orner l’objet physique, ce petit geai bleu en robe rouge mentionné dans "Red Shoes by the Drugstore" avec lequel le narrateur veut sortir. Cette passion naissante irrigue encore "Wrong Side of the Road", blues-funk convoquant Dr JOHN.

Ailleurs sont croquées d’autres jeunes femmes aux émotions ambivalentes dont les existences peuvent soudainement basculer. Une adolescente se suicidant par défenestration sur Hollywood Boulevard ("A Sweet Little Bullet from a Pretty Blue Gun"), "Christmas Card from a Hooker in Minneapolis" dépeignant une femme composant une carte de Noël à son mac ou amant via laquelle elle lui raconte la vie dont elle rêverait avant de reconnaître ses mensonges, écrivant sans doute depuis sa cellule après une arrestation pour possession de drogues (Je n’ai pas de mari/Il ne joue pas du trombone/Et j’ai besoin d’emprunter de l’argent/Pour payer cet avocat/Et Charley hey/Je serai libérable bientôt/Viens à la Saint Valentin), ou encore cette prostituée demandant de manière véhémente à son patron de lui rembourser "29.00$" après qu’un client lui ait déchiré sa robe.

On comprend ainsi beaucoup mieux cet idiome américain intitulant une des chansons au groove le plus mortel. "Whistlin’ Past the Graveyard" signifie s’engager dans une voie avec peu ou pas de vision sur ses conséquences possibles, qui pourraient tout aussi bien s’avérer dramatiques, telle cette fusillade dans un cinéma menée par un gang de Mexicains enrobée d’un soul jazz digne d’un cabaret louche, cadre de l’excellent "Romeo Is Bleeding".

Après la dernière session du 26 août, WAITS est satisfait. Il avait réussi à proposer une autre facette de sa personnalité inédite à son public et remisé en même temps son stéréotype au vestiaire, ce ne serait pas la dernière fois qu’il parviendrait à se réinventer efficacement. En attendant, il nous laisserait momentanément avec un des sommets incontestables de sa première partie de carrière jazz-blues, un enregistrement doux-amer où la mort s’avère omniprésente, à moins qu’il ne s’agisse du simple sommeil rassurant, prenant place naturellement à la suite de la pièce minimale éponyme ayant toutefois gagné un pluriel et conservant un mystère concernant sa véritable nature qui ne sera finalement pas levé.

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- Tom Waits (chant, guitare électrique, piano)
- Ray Crawford, Roland Bautista, Alvin 'sh (guitare électrique)
- Scott Edwards, Jim Hughart, Byron Miller (basse)
- Da Willie 'george Duke' Gonga (piano électrique)
- Harold Battiste (piano)
- Charles Kynard (orgue)
- Herbert Hardesty, Frank Vicari (saxophone ténor)
- Rick Lawson, Earl Palmer, Chip White (batterie)
- Bobbye Hall Porter (congas)
- Bob Alcivar (direction orchestre)


1. Somewhere (from West Side Story)
2. Red Shoes By The Drugstore
3. Christmas Card From A Hooker In Minneapolis
4. Romeo Is Bleeding
5. $29.00
6. Wrong Side Of The Road
7. Whistlin’ Past The Graveyard
8. Kentucky Avenue
9. A Sweet Little Bullet From A Pretty Blue Gun
10. Blue Valentines



             



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