REQUIN CHAGRIN aurait-il un quelconque rapport avec la chanson des années 70 de Michel SARDOU ? Pas vraiment pour tout vous dire. Il s'agirait plus volontiers d'une sensation agréable qui définirait un monde à la fois aérien et mélancolique. Avec ce troisième album, Marion Brunetto, la sudiste de Ramatuelle, était attendue au tournant par les amoureux d'une pop hexagonale racée et mélodieuse. A l'image d'ALINE, GRANVILLE ou PENDENTIF, ce projet bien trop discret n'a pas pour l'instant l'exposition qu'il serait en droit d'attendre et de mériter. En effet, on crie au miracle, à la merveille définitive pour n'importe quel projet estampillé hype éphémère provenant de l'autre côté de la Manche ou de l'Atlantique, mais on laisse parfois de côté, au bord du chemin du succès, des groupes qui possèdent une belle identité, un univers particuliers. C'est à l'évidence le cas pour REQUIN CHAGRIN.

La one woman band, et ceci dès ses débuts, n'a jamais caché son amour pour des ambiances qui se veulent légères et nostalgiques. Puisant aussi bien son inspiration chez BEACH HOUSE qu'INDOCHINE, REQUIN CHAGRIN a rapidement mis de côté l'esprit surf-garage du premier album (2015) pour aller accoster avec Sémaphore (2019), le plus que correct deuxième album, sur les rivages d'une pop rêveuse. Cette douce volonté de sortir sans heurt des sentiers battus d'une certaine pop formatée n'a pas encore récolté en ces temps frileux les graines d'un succès qui semble pourtant à portée de main. On a parfois l'impression de totalement marcher sur la tête lorsqu'on peut lire ici ou là que REQUIN CHAGRIN n'est pas digne d’intérêt car signé sur le label de Nicola SIRKIS. Tant pis si certaines personnes s'arrêtent à ce type de détail plus que primaire car Bye Bye Baby a incontestablement de très beaux atours.

La force principale de ces dix titres réside dans la beauté calme de leurs mélodies. En effet, la dorénavant parisienne d'adoption n'a pas son pareil pour brosser en quelques notes des tableaux simples et lumineux qui sans crier gare serrent toujours un peu la gorge. Un simple exemple ? Le poignant "Roi du Silence" qui vous enveloppe par sa fragilité assumée. Les notes sont comme autant de désir d'ailleurs, incertain mais nécessaire. Ce qui me plaît dans ce monde tout en pastel, c'est la tristesse retenue qui l'irrigue. Elle prend parfois la direction de Manchester et s'arrête au domicile de Johnny MARR des SMITHS comme à l'image du délicieux "Nuit B" qui en restitue la légèreté à travers ses arpèges cristallins. Brunetto ne cache pas d'ailleurs ses intentions puisqu'elle nous «emmène sous le signe du chagrin», nous le soufflant ainsi dans le creux de l'oreille avec l'étoilé pop "Perséides" marqué par un dynamique jeu de guitare que ne renieraient pas DIIV ni les signatures de CAPTURED TRACKS.

L'émouvant titre éponyme ou le déjà classique "Déjà Vu" avec son joli son d'orgue sixties soulignent quant à eux un autre attrait de REQUIN CHAGRIN. La voix de sa chanteuse qui insuffle là encore ici et là quelques frissons bienvenus. BRUNETTO n'est pas DION ou CAREY et c'est tant mieux car son timbre doux se révèle en parfaite adéquation avec les ambiances exposées. Est-ce qu'une CASTAFIORE serait crédible sur le COCTEAU TWINS "Love" ? Assurément non et c'est justement cette voix noyée dans le brouillard et les échos qui contribue aussi à faire de ces dix titres un parfait réceptacle pour de tranquilles émotions, quitte à sonner parfois un peu trop homogène. Bye Bye Baby ne recherche pas le grand chamboulement. Il reste le compagnon attentionné de minutes moroses qui parfois décident de prendre un peu plus de vitesse (l'INDO et excellent "Volage").

Avec Bye Bye Baby, REQUIN CHAGRIN confirme avec élégance les espoirs que l'on a placés en lui. Cet album comblera sans conteste les adeptes d'une pop limpide baignant dans une éclatante lumière noire.