Les faits sont terriblement têtus et le temps qui file ne changera malheureusement pas la donne. Les années 90 ont été en effet pour les musiques sombres une décennie bien délicate. Les figures populaires grand public ne l'étaient plus vraiment et même si l'essence de ce monde demeure foncièrement celle de l'underground, il peinait réellement à intéresser. Le salut vint alors sporadiquement de formations qui à défaut de proposer des projets pleinement novateurs avaient compris qu'assimiler une relecture pertinente des grandes heures pouvait néanmoins suffire à retenir l'attention. C'est indéniablement le cas avec les Turinois de FROZEN AUTUMN. Dès Pale Awakening (1995), leur premier album, les Italiens ont repris les choses là où les avaient laissées les Néerlandais de CLAN OF XYMOX.

Il est effectivement difficile de ne pas penser avec Fragments Of Memories ici encore au culte Medusa des Bataves sorti en 1986. A travers ces titres délicats, le duo expose lui aussi une certaine idée d'un spleen dansant si cher à ces années froides. En pleine époque d'une dark-wave particulièrement pataude et lourdaude (suivez mon regard outre-Rhin), celle de Claudio Brosio et Diego Merletto avait de quoi satisfaire les esprits un peu plus exigeants. Le monde des transalpins inspire à l'évidence une agréable quiétude synthétique. Comme pour toute bonne dark new-wave qui se respecte, les ambiances s'articulent majoritairement autour de synthés rêveurs qui en forment l'ossature. Et de ce côté-ci, le groupe s'est rapidement distingué du tout-venant.

Même si l'ensemble ne connaît pas globalement de réelle faiblesse, il y a pour moi deux titres qui se distinguent néanmoins par leur puissance attractive. Est-ce parce que ce sont les plus enlevés ? Peut-être. "Dusk Is Like A Dagger" est un modèle du genre. Si ce morceau baigne dans une ambiance assurément surannée, la guitare incisive qui ne s'arrête jamais, la rythmique inlassable et la voix à la fois grave et triste de Merletto font des merveilles. Sa voix, parlons-en justement. Elle est tout simplement superbe et assurément l'une des plus marquantes de ce courant. Écoutez-moi plutôt le classique "I'm Coming from Nowhere". Même si Diego est ici avare en mots, son timbre profond sans être ténébreux se marie parfaitement avec ces notes gorgées de tristesse. La dose de frissons est transmise. Mission plus que réussie.

Le duo vous enveloppe aussi subtilement par ses mélodies éthérées qui, si leur apparente torpeur pourrait ennuyer une oreille distraite, n'en sont en définitive que plus poignantes. Si on excepte l'inutile et longuet "The Forgotten Frontier" et le trop évident "There's No Time To Recall" car 100% "La Dark Wave pour les nuls", le restant présente des ambiances inspirées. L'éponyme avec la superbe voix d'Arianna contient assez de romantisme glacé pour vous faire paradoxalement fondre (Mylène FARMER, où es-tu?). Tout semble emprisonné par un givre matinal à l'image du bien-nommé instrumental "Winter" qui, sans verser dans le pathos, vous serre probablement le cœur. Les Italiens sans brusquer les choses développent des atmosphères dans lesquelles l'auditeur vient langoureusement se perdre (le superbe et délicat "Chimney's Hiss Song"). Comme une parenthèse mélancolique dans ce monde de brutes.

Fragments of Memories est de la belle ouvrage. Classique d'une dark-wave finement ciselée de la fin du siècle dernier, cet album a rapidement ravivé la flamme d'un milieu qui était en Europe des plus moribonds.