La sortie de Trans-Reality, le troisième album de LOVE IN CAGE, est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup. Tiens donc, pourquoi ce soudain enthousiasme de ma part, moi qui suis plutôt du genre austère, qui ne se marre pas ? Serait-ce une opportuniste déclaration d'amour à la ténébreuse Normandie, parce que je suis caennais et que le duo rouennais sort son opus sur Meidosem Records*, le précieux label cherbourgeois ? Même pas. Non, plus sérieusement, c'est entre autres le plaisir réel de constater qu'il existe encore des acteurs discrets qui irriguent de leur passion les univers sombres et nous donnent dès lors matière à enclencher de nouveau la machine à émotions.

Ceci est d'autant plus louable car, même si ce monde est par essence underground, il semble quand même s'enfoncer d'année en année de plus en plus profondément dans les entrailles de la terre. Aussi, retrouver sans Goth GPS ce duo silencieux depuis 2015 et qui évolue dans une veine à la croisée d'une froide électro et d'un post-punk subtil est heureux. La patience par la force des choses est assurément une cinquième vertu cardinale dans cette sphère. Elle est encore plus appréciée lorsque la sortie discographique ne déçoit pas. C'est ici naturellement le cas de Trans-Reality. Les premières impressions après l'écoute de ces neuf titres sont dénuées de toute ambiguïté.

Tels des Janus gothiques, les Normands exposent d'abord un visage synthétique puis un autre volontiers plus électrique. Le seul dénominateur commun dans ce road-trip qui prend différentes teintes est une sensation tenace de doute, de contrainte, de perte d'espoir (liste à compléter selon humeur) qui se colle à vous comme une seconde peau.
LOVE IN CAGE dès l'introductif "Avoid The Sun" tonne le ton. La discrète guitare ne fait pas illusion. Il n'y a pas de masque à porter, ni de faux semblant à constater. Elle n'allège en rien le constat amer d'Isthmaël Baudry et la pulsation électronique régulière ainsi que les synthés mélancoliques nous le rappellent opportunément. Le ciel noir n'est jamais très loin.

Ce début de périple nocturne à la surface du bitume nous emmène dans un monde quelque peu anxiogène. A l'image de l'excellent "2083" marqué par ses claviers prégnants, il se présente comme l'alliance improbable des atmosphères de BLADE RUNNER et des effluves sonores dignes de TRISOMIE 21. Ces espaces déshumanisés, robotisés s'expriment parfaitement à travers le beat glacial du bien nommé "Ma Vie Numérique". Promesse de cauchemar et non d'espoir où l'on finit 'googlelisé et géolocalisé'. Même si l'auditeur est sous contrôle, pris comme dans une nasse, ces premiers kilomètres n'en développent pas moins une belle force hypnotique. Continuant son périple au cœur de cet univers désenchanté, LOVE IN CAGE se permet alors un petit détour à mi-parcours, sur une route secondaire post-punk.

Exit les visions analogiques et place aux riffs bien sentis de guitare cold wave comme l'expose le classique dans la forme "Blue Planet" ou le CHAMELEONS dans l'âme "Take Me Away From Me" pour sa hargne en accélérée. Après toutes ces pérégrinations chaotiques, le jour pointe enfin le bout de son nez et LOVE IN CAGE se retrouve sur des routes au parfum de désert. Les deux derniers morceaux "Californian Desert" justement et "Somewhere Else" dénotent assurément dans notre sphère chérie. Originaux et cinématographiques, ils sont pour le duo l'occasion à travers ces guitares lancinantes de faire rimer Normandie et Californie. Ces titres sont des SAILOR et LULA des plus actuels. Ils suintent la fuite en avant, le motel pourri, la chaleur suffocante. Le soleil est là, enfin, mais il est implacable et rien ne semble devoir adoucir notre condition. Il en est ainsi.

Trans-Reality est incontestablement un très bel album de musique sombre qui offre à l'auditeur un voyage addictif aux multiples atmosphères. Le tour-de-force est d'autant plus remarquable que l'espoir ne semble définitivement pas faire partie des bagages.

*https://meidosemrecords.bandcamp.com