Si certaines pochettes ne brillent ni par leur originalité ni par un développement artistique prononcé, d’autres ont le mérite d’être claires et explicites à défaut d’être créatives. Si les mots en vert et rouge apposés à trois reprises ne vous parlent pas, c’est que vous avez un petit problème de vue ou que vous êtes atteint d’une maladie dégénérative.

On ne revient pas sur l’histoire des ISLEY BROTHERS (voir la chronique de "Shout"). Disons simplement qu’après une carrière discographique entamée en 1956 dans une veine Doo-Wop en demi-teinte, le groupe connaît un succès fulgurant en 59 avec "Shout", un disque qui leur ouvre alors les portes des classements Pop. Englués malheureusement par Hugo &Luigi, deux véritables boulets aussi doués en Soul que vous et moi en physique quantique, le succès ne va pas durer. Après un rapide passage chez Atlantic, le groupe rebondit en 62 avec l’imparable "Twist And Shout".

Revenons brièvement sur l’année 62. Si en avril, BOOKER & The MG’s font groover la planète avec "Green Onions", en juin, Barbara LYNN explose les compteurs avec "You’ll Lose A Good Thing", en août après cinq années d’efforts les Isley Brothers se font remarquer avec "Twist & Shout". Les hostilités sont clairement lancées avec ce Twist hors norme. Danse initiée par Hank Ballard, relayée par Chubby Checker, le Twist connaît alors son apogée ; il faut dire que les mouvements relativement simplistes (on tortille le bassin tandis qu’une jambe reste tendue alors que l’autre est en flexion) expliquent son incroyable succès auprès des teenagers mais aussi des adeptes des dance-floor.

A tout seigneur tout honneur, commençons par le titre d’ouverture qui donne son nom à l’album. "Twist And Shout", une compo de Bert Russell (pseudo de Bert Berns) et de Phil Medley, avait été préalablement mis en boîte par les Top Notes, pour l’écurie Atlantic. Si le chant en duo de Derek Martin et Howard Guyton n’a rien d’alarmant en soi, la partie arrangement et orchestration laisse à désirer. Bert Berns qui vient de rater le coche avec Atlantic est persuadé de détenir un hit, aussi le fait-il réenregistrer deux ans plus tard par les trois frangins qui vont eux décrocher le cocotier. Si l’orchestration, les arrangements et un tempo bien boosté contribuent au succès du morceau, la verve et la cadence des Isley Brothers demeure incomparable. C’est bien simple, les versions antérieures de Chubby Checker ou Dee Dee Sharp font figure de berceuses. Au fil du temps, la chanson fera l’objet de moult covers mais, hormis la version des BEATLES, aucune ne distille autant de saveurs. Souvenez-vous : You know you make me wanna (shout) -Kick my heels up and (shout) -Throw my hands back and (shout)- Say that you love me (say)…. Sylvie Vartan avec "Twiste et chante" témoignait d’une adaptation particulièrement médiocre.
Au vu de la pochette, il paraissait difficile d’échapper à la mode Twist. Pas moins de trois autres pistes reprennent le terme : "Rubber Leg Twist", "Spanish Twist" un instrumental épicé de cuivres, et enfin "Let’s Twist Again" gros succès de Checker en 1961. Là, les paroles se font rares, le trio privilégiant une ambiance cuivrée.

O’Kelly, Ronald et Rudolph Isley bénéficient de compos sur mesure concoctées pour la plupart par le regretté Bert Berns, le New-Yorkais étalant sa plume sur sept pistes souvent dansantes. "Hold On Baby" avec sa coloration caraïbéenne s’inspire très nettement du titre phare, idem avec "You Better Come On" et "Don’t You Feel" dans lequel les guitares impulsent un décor entre Twist et Calypso. "I Say Love" avec ses déflagrations de sax met en lumière la qualité des harmonies vocales et le sens du rythme des trois frangins. A contrario, "Never Leave Me Baby" permet aux frangins de nous pondre une mixture endiablée entre Twist et Doo Wop d’antan.

Parmi les titres échappant à Bert Berns, on en retrouve deux d’Elaine Jasper outre "Rubber Leg Twist" : l’impressionnant "Right Now", une balade Soulfull qu’on croirait sortie du répertoire de James BROWN, le titre qui met le plus en valeur les harmonies vocales des Frères Isley. Avec "The Snake" *, Elaine Jasper** leur apporte un titre virevoltant, bien cuivré, évoquant des mouvements reptiliens, pas très éloigné de "The Walk" de Jimmy McCracklin. Terminons ces modestes lignes avec "Time After Time" Ω, une balade sentimentale du prolifique tandem Sammy Cahn/Jule Styne datant de l’Après-Guerre. Souvent interprété sous forme de Jazz Vocal ou Instrumental, le titre a fait les beaux jours de SINATRA et de Chet BAKER, avant de tomber dans la besace de chanteuses de Jazz souvent bien ennuyeuses. Bref, hormis la version d’Erma FRANKLIN, ce titre s’est souvent révélé barbant et sonne aujourd’hui bien obsolète. Là, les ISLEY BROTHERS tempèrent grandement leurs propos avec ce berlingot pur sucre qui ne vaut que par la qualité du chant et de ses quelques pizzicatos de guitare. Un titre qui ici fait figure d’intru.

Cet album avec son titre phare peut être considéré comme une étape dans l’histoire de la Soul. Les petits emprunts au Doo-Wop et au Gospel vont préparer et lancer l’explosion Soul de la décennie sixties. L’emploi du contre-chant, des harmonies vocales, des unissons haut-perchés, des rythmes frénétiques et endiablés demeurent des modèles du genre. Sans avoir l’air d’y toucher, les ISLEY BROTHERS participent à toutes les étapes la musique noire, du Doo-Wop au Gospel en passant par la Soul, le Disco, le Funk Rock et la Nu Soul, une marque de fabrique qui leur permet d’être intronisés au Rock & Roll Hall Of Fame en 1992. Cet album publié à l’origine par Wand a été réédité par Scepter en 1966 sous le titre Take Some Time Out For The Isley Brothers avec une pochette différente. Plusieurs versions en format CD avec bonus ont vu le jour.


*Titre homonyme à celui d’Oscar Brown Jr.
**Elaine Jasper est l'épouse d'un cousin Isley.
Ω Titre homonyme à celui de Cyndi Lauper.