Dans la grande famille des musiques sombres, je demande urgemment au rapport la très sulfureuse scène dark folk*. Si cette dernière a toujours possédé une réputation particulièrement ambiguë, elle n'en demeurait pas moins riche et intéressante. Si je parle d'elle volontiers au passé, c'est sans doute parce que les productions contemporaines de qualité se font plutôt rares, voire inexistantes. Ici, il n'est pas question des mastodontes que sont DEATH IN JUNE, SOL INVICTUS ou BLOOD AXIS mais plus volontiers d'un projet français peu connu et pourtant très stimulant. DERNIERE VOLONTE traîne cependant lui aussi à ses débuts cette image qui colle à cette sphère, à savoir, pour grandement simplifier, celle d'une fascination nostalgique pour les régimes fascistes des années 1930-1940.

Il est évident que limiter ce mouvement à cette idée est plus que stérile. La ligne entre adhésion réelle pour cette idéologie et questionnements sur ce qu'est un État totalitaire peut parfois être présentée comme tenue. C'est d'ailleurs ainsi que la plupart des groupes dits martiaux jouent souvent savamment de ce flou pas toujours artistique. En convoquant aussi bien par exemple les figures d'Arno Breker que Julius Evola, le mouvement conforte cette image de scène vraiment difficile à cerner, pour rester poli. DERNIERE VOLONTE se voit décrit comme un groupe pratiquant une musique de scouts intégristes avec à sa tête Étienne Dachau. Évidemment, vu comme ceci, je présume que vous n'avez pas envie de continuer, et pourtant...

Lorsque Devant le Miroir sort au début de l'été 2006, DERNIERE VOLONTE a grandement évolué. En effet, il reste peu de traces de ses débuts martiaux et industriels que l'on pouvait retrouver sur Obéir et Mourir (1998) et le superbe Le Feu Sacré (2000). Les influences patentes des tendancieux Autrichiens de DER BLUTARSCH ou des Français des JOYAUX DE LA PRINCESSE se sont estompées pour céder la place à une Pop martiale qui sera nommée naturellement Military Pop. C'est assez surprenant, mais les noms qui viennent dorénavant à l'esprit sont ceux de TAXI GIRL, DAHO ou INDOCHINE première mouture. Geoffroy D, l'instigateur de ce projet, chante maintenant et plutôt bien sur tous les morceaux et c'est à travers cette nouvelle approche que DERNIERE VOLONTE va devenir (presque) fréquentable.

Fréquentable, enfin, pas encore pour les très frileux, car le passé n'est pas totalement mis sous le tapis. Ainsi, les mots accompagnant le conclusif et étouffant "Maître de Ma Peau" sont ceux de DRIEU LA ROCHELLE. C'est sans conteste l'un des derniers instants où Geoffroy D à travers ce titre tout en échos se retourne vers ses anciennes productions. En effet, même lorsque DERNIERE VOLONTE reprend "Au Travers Des Lauriers", un chant guerrier du XVIIIème avec force tambour ou expose "Nos Chairs" dans un presque pur style martial, le projet se veut à l'évidence moins rêche, moins dur. Ce sentiment se conforte à l'écoute de "L'Eau Pure" et tout au long de l'album. Si l'ossature est pleinement martiale, le traitement de ce titre donné aux claviers confère à l'ensemble un savoureux goût pop. Devant le Miroir surprend par la rapidité de son évolution comme s'il voulait se défaire de ces vieilles chemises brunes quelque peu gênantes et voir de nouveaux horizons.

C'est encore plus frappant avec l'excellent "Douce Hirondelle" qui, à l'époque, en a décontenancé plus d'un dont l'auteur de ces lignes. On se retrouve nez à nez avec un morceau synthpop ultra-entraînant, un peu chant autour d'un feu de camp qui vous ferait presque partir à la fin en INDOCHINE la fleur au fusil. La voix claire et douce de son leader et l’indéniable qualité des mots sont aussi un bel atout supplémentaire. DERNIERE VOLONTE n'a pas son pareil en effet pour décrire élégamment les tourments de l'âme sur fond de nappes de claviers finement ciselées. On peut y déceler un petit côté suranné et précieux, mais les paroles épousent parfaitement ces sentiments et ambiances couleur sépia. Les émouvants "Verbes Fragiles" et "L'Ombre des Réverbères" reposent avec superbe sur cette formule. Des rythmes quasi dansants se marient donc sans contrainte particulière avec l'évidence d'un spleen fataliste. C'est ici forcément que l'on pense vocalement à DAHO ou DARC, à l'image du faussement guilleret "La Nuit Revient".

Devant le Miroir, s'il a surpris en son temps, apparaît bien comme un album original. En y injectant une dose intelligente de pop, DERNIERE VOLONTE s'est démarqué avec conviction d'une scène qui commençait déjà à se scléroser. Le genre pratiqué n'évite pas les questions légitimes, mais il mérite toutefois pleinement que l'on s'y attarde.

* Les deux tomes Looking For Europe d'Andreas DIESEL et Dieter GERTEN parus aux éditions Camion Noir en 2008 peuvent être une bonne introduction pour appréhender ce mouvement.