THE UNDISPUTED TRUTH (traduisible par l’Incontestable Vérité) vient à peine de sortir sa première galette que le trio remet le couvert, toujours sous la houlette de Norman Whitfield. A défaut de se répéter, il faut battre le fer pendant qu’il est chaud, d’autant plus que les modes ont sacrément tendance à s’accélérer dans un monde où tout change et bascule du jour au lendemain.

Durant l’été 71, FUNKADELIC déploie ses ailes avec "Margot Brain", titre enregistré sous acide, une plongée dans une rédemption cosmique sans équivalent dans les registres Soul et Funk et qui va changer la donne. Dans le même temps, Wattstax se révèle comme l’un des premiers évènements majeurs organisés exclusivement par la communauté noire, avec Jesse Jackson en maître de cérémonie, alors que King Curtis, brillant chef-d’orchestre arrangeur et saxophoniste est assassiné devant son immeuble par un dealer qui refusait de bouger son cul des marches où il s’était installé. Dans un autre ordre d’idée, la chanteuse Jean Knight avait bien failli faire chou blanc avec "Mr. Big Stuff" enregistré à Jackson, au cœur du Mississippi dans l’indifférence générale, avant que la Stax ne se réveille et transforme la chanson en en faisant l’un des plus gros cartons de l’année. La Soul connaît une période charnière, fin 72, les TEMPTATIONS mettent en boîte le sombre "Law of the Land", un condensé avant l’heure du Disco, Whitfield inventant alors le son des années à venir.

Au vu de ce bref survol historique, les mots d’ordre sont de ne pas traîner et de se montrer novateur et créatif. Fin 71, le single "You Make Your Own Heaven And Hell Right Here On Earth" relance the Undisputed Truth. Le titre avait pourtant été enregistré par les TEMPTATIONS, figurant une première fois sur l’album Psychedelic Shack en mars 1970 puis de sortir en single en janvier de l’année suivante, une production peu couronnée de succès.
Si en arborant des coupes afro et en s’équipant de tenues vestimentaires métalliques variant avec des chemises bariolées et des pantalons à pattes d’éléphant, le groupe se forge une identité bien éloignée de celles des nombreux groupes Motown avec leurs costards traditionnels et leurs beaux tailleurs pour dames. Avec sa grosse ligne de basse et son jeu de questions/réponses à l’image des chants issus des Spirituals, le trio transforme la soupe des TEMPTATIONS en une pépite pleine de fun. Un long morceau de presque 7 minutes qui se boit comme du petit lait.
Même procédé avec "What It Is ?" *, préalablement mis en boîte par les TEMPTATIONS (album Solid Rock). Si l’orchestration et les arrangements semblent parfois brouillons, c’est au niveau du vocal que se situe la principale faiblesse, les voix des TEMPTATIONS font penser à de vieux chanteurs rétro ou de Doo-Wop et ne rivalisent jamais avec les timbres plus à la page de Brenda Joyce -Evans et Billie Ray Calvin. Pourquoi changer de procédé surtout quand celui-ci a fait ses preuves ? La dernière piste de cette face est encore un medley du tandem Whitfield/ Barrett Strong regroupant "Ungena Za Ulimwengu (Unite The World)", titre figurant dans l’album Sky’s The Limit des TEMPTATIONS. Si le titre en swahili fait référence à la Tanzanie, l’orchestration est un parfait condensé de Soul cosmique, une version encore une fois bien relookée et bien plus groovy que l’original. La seconde partie du medley "Friendship Train", énième coécriture de Whitfield/Strong, avait fait l’objet d’un excellent premier jet par Gladys Knight & The Pips avant d’être repris par … … les TEMPTATIONS sous un déluge de guitare funky peu approprié. Si Rosetta Hightower enregistrait entre temps dans un studio londonien une troisième version fort honorable au demeurant, nous avons une préférence pour la version de Undisputed Truth qui vient se fondre remarquablement avec son prédécesseur.

Si vous vous demandez par quoi pourrait débuter la face B, n’allez pas chercher bien loin, elle commence sous les mêmes auspices, une compo de Strong et Whitfield figurant préalablement dans un disque des TEMPTATIONS ("Solid Rock"). Encore une fois, la présente version avec son intro d’orgue nous semble beaucoup plus moelleuse et trépidante que celle de leurs ainés marqués par le départ d’Eddie Kendricks. Une version qui relègue bien loin les futures covers de The Love Machine et de David Ruffin (ex-membre des TEMPTATIONS). Bien souvent dans un album, il y a un titre plus faiblard que les autres. C’est le cas avec "Take Me In Your Arms And Love Me", une ballade de Barrett Strong gravée par Gladys Knight & The Pips. Le morceau sonne tellement guimauve qu’il sera repris par les anglaises LULU et Cilla Black. L’anglais Paul YOUNG avec sa voix éraillée lorgnant sur celle de Joe COCKER reprendra lui aussi la ritournelle, mais les utilisations d’une boite à rythme et de l’orgue Bontempi de mon neveu de cinq ans lui seront préjudiciables.
Le trio tempère encore ses ardeurs avec "Don't Let Him Take Your Love from Me", une compo des indéboulonnables Whitfield/Strong, sauf que cette fois, le trio évite les cases Guimauve et Soupe pour nous offrir une vraie balade pleine de douceur. Certains reconnaitront le titre, celui-ci ayant été recyclé par la Motown pour Gladys Knight, Jimmy Ruffin, The FOURS TOPS et bien évidemment les TEMPTATIONS. Si les formations précitées n’échappent pas à une sonorité trop Motown, le trio nous en délivre une version qui n’est pas s’en rappeler certaines douceurs de BLACK MERDA. A noter que les PERSUASIONS délivreront plus tard une version a capela qui vaut le détour. Si vous avez parié que l’album s’achève avec une dernière compo de Whitfield/Strong, vous avez perdu ! Le groupe reprend "What’s Going On", grand classique de Marvin GAYE, autre artiste Motown, dans une veine conjuguant Soul exotique et Psy qu’il aurait cependant été judicieux de raccourcir, le titre dépassant largement les 9 minutes.

Alors, si certaines pistes ont légèrement vieilli, ce second jet du trio vaut par la qualité de l’orchestration, d’arrangements sur mesure bien dans l’ère du temps, et la complémentarité des trois voix. Sans "Take Me In Your Arms And Love Me" et la reprise du tube de Marvin Gaye, ce disque aurait même pu flirter avec la note maximale. Je ne vous raconte pas de cracks, le titre de l’album parle presque de lui-même. Pour terminer, j’ai une pensée pour mon collègue Jasper Lee Pop qui m’a permis de remettre les pendules à l’heure en suggérant la chronique de ce recueil méconnu. Si presque tous les titres avaient été préalablement enregistrés par d’autres, le terme de 'Refourgue' me paraît ici plus que galvaudé.

Question subsidiaire: combien de fois les TEMPTATIONS sont-ils cités?



*Titre homonyme à ceux de The Dictators, Miles Davis, Mark Knopfler.