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Roberta FLACK - Killing Me Softly (1973)
Par LE KINGBEE le 7 Décembre 2022          Consultée 987 fois

Excellente pianiste et chanteuse au timbre délicat, Roberta FLACK aura connu un succès tardif contrastant avec sa précocité. Si sa discographie débute en 1969 avec First Take, album édité par Atlantic qui tente de cantonner la chanteuse dans le domaine du Jazz Vocal, registre où le label est roi, il lui faut attendre 1971 pour qu’elle franchisse un palier avec "You’ve Got A Friend" enregistré en duo avec Donnie HATAWAY, titre qui grimpe dans le Top 30 et vient concurrencer la version de James Taylor. Mais curieusement c’est grâce à la magie d’Hollywood que Roberta va placer son nom en grand sur la carte de la Soul. Alors que First Take, son premier disque n’avait pas connu un flagrant succès auprès du public américain, il aura suffi que Clint Eastwood intègre "The First Time Ever I Saw Your Face" au générique du film "Play Misty For Me" (Un Frisson dans la nuit) pour que la carrière de Roberta décolle en flèche. L’impact est tel auprès du public qu’Atlantic va s’empresser de rééditer la chanson avec un single qui va rester six semaines en tête des charts et se vendre à plus d’un million d’exemplaires. Une aubaine pour la firme de Jerry Wexler et Ahmed Ertegün. En 1972, Roberta met en boite une poignée de singles avec Donnie HATHAWAY, un de ses anciens condisciple de son époque lycéenne. Mais c’est véritablement avec "Killing Me Softly With This Song" qu’elle va connaitre une consécration planétaire.

En 1973, la Soul est en complète ébullition : Barry WHITE se fait remarquer avec I’ve Got So Much To Give, disque dont plusieurs pistes intègrent les charts, Stevie WONDER qui vient de sceller un nouveau contrat de 120 pages avec la Motown triomphe avec "Superstition" et le romantique "You Are The Sunshine Of My Life". En juillet, "Soul Makossa" du saxophoniste Manu DIBANGO devient le premier tube africain international, tandis que Marvin Gaye plonge dans une sensualité extrême avec l’album Let’s Get It On alors qu’Ann PEEBLE et O.V. WRIGHT avec Memphis Unlimited marque l’apogée du label Hi Records. Plus triste, en juillet l’ex TEMPTATIONS Paul Williams est retrouvé dans sa voiture en maillot de bain, le chanteur affecté par son renvoi du groupe s’est logé une balle dans la tête. On le voit le monde de la Soul et ses tendances changent à vitesse Grand V et c’est dans ces conditions que Roberta FLACK parvient à inscrire son nom sur les plus haute marche des charts mondiaux.

Issu d’une collaboration soutenue avec son fidèle producteur Joel Dorn (ex Maw Roach, Yusef Lateef, Shirley SCOTT, Pat MARTINO) ce cinquième opus sort dans les bacs des disquaires le 1er aout 1973. Porté par le succès de sa chanson titre, le single se classe à la 1ère place des charts de février à mars, l’album étant lui certifié disque d’or 27 jours après sa sortie.

Si le répertoire concocté par Dorn et Flack demeure un modèle d’intelligence et de délicatesse, le disque vaut aussi par une production soignée alliant à la fois certains aspects du Jazz et de la Soul, une orchestration aux petits oignons avec le guitariste Eric Gale (ex King Curtis, Howard TATE, Quincy JONES), le bassiste Ron Carter (Eric DOLPHY, Wes MONTGOMERY, Miles DAVIS) et le batteur Grady Tate (Stan GETZ, Kenny BURRELL, Chick CORREA), un redoutable trident formant une colonne vertébrale des plus robuste et qui accompagne la pianiste depuis ses premiers pas en studio. Mais c’est surtout au niveau des arrangements que le recueil se distingue. Alors qu’on pouvait craindre une certaine incohérence ou de la confusion suite à la coopération de cinq arrangeurs différents, Dorn parvient à maintenir un cap équilibré et harmonieux entre les différentes pistes.

A tout Seigneur tout honneur, commençons par la chanson titre qui ouvre la galette. Si la réalisation de "Killing Me Softly With This Song" provient d’un véritable salamalec entre la paire d’auteurs Charles Fox/ Norman Gimbel et Lori Lieberman, une chanteuse guitariste pianiste qui enregistra la chanson en juillet 72 pour Capitol. Lors d’un voyage en avion, Roberta FLACK entendit le titre et décida de la reprendre avec des arrangements à sa sauce et un rythme légèrement plus rapide. La légende veut que Roberta, à l’instigation de Marvin GAYE, ait interprété le titre lors d’un rappel au Greek Theater de Los Angeles. Devant la ferveur du public, la pianiste décida d’enregistrer la chanson. Devant son succès instantané, tout ce qui pouvait tenir un micro allait s’attaquer au tube, bien souvent dans des interprétations d’une affligeante platitude. De nombreuses vedettes Soul, Country et crooner sur le retour reprendront le morceau, mais entre copies serviles mal fagotées, reprises ampoulées, covers sortant complètement du contexte, le résultat s’avère souvent décevant. En 1996, les FUGEES de Lauryn HILL connaitront un triomphe retentissant en samplant la chanson. Chez nous, Gilbert MONTAGNE, alors au début de sa carrière, la reprendra via l’adaptation d’Eddy Marnay "Elle chantait ma vie en musique", une version préalablement enregistrée en français par Lori Lieberman. Inutile de dire que cette adaptation perdait une grosse partie de son âme d’origine.
Composée par la guitariste Folk Janis Ian, la ballade "Jesse" * vaut elle aussi par sa douceur, l’assemblage des violons et d’un violoncelle et la participation ciselée de l’arrangeur brésilien Eumir Déodato. Janis Ian reprendra plus tard sa création qui connaitra encore de beaux jours par l’entremise de Joan BAEZ. Une belle chanson sur la déception amoureuse et la solitude, deux sentiments contrastant avec le message d’espoir chanté par Roberta.

Si FLACK prend soin de rester sur une trame identique, "No Tears (In The End)", un inusité du groupe newyorkais The Main Ingredient, monte en gamme. La guitare d’Eric Gale se fait plus incisive tandis que les congas de Ralph Mac Donald apportent une coloration exotique. Une version bien plus goûteuse que l’instrumental de Grover WASHINGTON. Second emprunt à la doublette Mac Donald/William Salter avec "When You Smile", une pièce rythmée se situant entre Rag, Broadway et musique de cabaret qui booste l’ensemble et met un brin de fantaisie. Retour vers les fifties avec "I’m The Girl", une compo de James Shelton, acteur compositeur spécialisé dans les comédies musicales de Broadway. Interprété par Sarah Vaughan et Patti Page, le morceau prend un petit coup de jeune, le violoncelle de Kermit Moore, fondateur de la SBC (Society of Black Composers) tisse un décor mélancolique en contrepoint d’un piano solitaire. La pianiste semble voguer sur l’eau avec "River" ♯, chanson enregistrée sans succès par Universal Jones, groupe éphémère dans lequel figurait Gene McDaniels. Si la version d’origine flirtait entre Folk genre CROSBY, STILL & NASH et une Soul éthérée, là la guitare prend par moment une coloration exotique en droite ligne avec les Caraïbes, tandis que le piano reste sur un canevas se situant entre ballade et Soul Jazzy alors qu’une flûte tente de nous faire dériver vers un décor plus Psyché.

Le contrebassiste chef d’orchestre Terry Plumeri, longtemps cantonné dans le Jazz, lui apporte "Conversation Love". Si ce jazzman demeure un fidèle collaborateur, son titre tombe à plat, un peu à l’image d’un soufflet ou d’une mayonnaise qui ne montent pas, la faute au tromboniste claviériste Don Sebeski qui noie une mélodie déjà pas terrible sous un déluge de cordes lascives et ampoulée. Rien de surprenant, le bonhomme ayant œuvré comme arrangeur tout-venant pour Britney SPEARS, Barbra STREISAND, Christina AGUILERA ou Tony BENNETT, ce qui selon nous est loin de constituer un gage de qualité. L’album se clôt avec "Suzanne", tube poétique de Leonard COHEN repris à toutes les sauces parfois les plus inimaginables. On se laisse prendre au jeu et aux paroles : Suzanne takes you down to her place near the river - And she feeds you tea and oranges that come all the way from China- And just when you mean to tell her that you have no love to give her. La longueur du morceau (presque 10 minutes) finit toutefois par avoir raison de notre patience, d’autant que le dernier quart souffre d’un déluge intempestif et guindé de cordes.

Hormis un titre dont la ligne mélodique ne parvient guère à accrocher l’oreille et le dernier titre qui aurait mérité d’être raccourci au moins de deux minutes, il n’y a ici pas grand-chose à redire. Les arrangements et l’orchestration demeurent superbement ciselés, la voix délicate impulse toutefois son lot d’émotion et la chanson titre demeure intemporelle. Dernière précision, la pochette intérieure révèle une dédicace au saxophoniste flutiste non voyant Rahsaan Roland Kirk, un virtuose qui se trimbalait sur scène avec trois ou quatre sax en bandoulière. Roberta, victime d’un grave AVC en 2018 lors d’un concert à l’Apollo Theater, serait depuis cet été frappée par la maladie de Charcot.


*Titre homonyme à celui de Carly Simon.
♯Titre homonyme à ceux de Roy Orbison, Gentle Giant, Joni Mitchell, Eminem.

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- Roberta Flack (chant, piano)
- Eric Gale (guitare)
- Ron Carter (basse)
- Grady Tate (batterie)
- Ralph Macdonald (congas, percussions, tambourin)
- Kermit Moore (violoncelle 4)


1. Killing Me Softly With His Song
2. Jesse
3. No Tears (in The End)
4. I'm The Girl
5. River
6. Conversation Love
7. When You Smile
8. Suzanne



             



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