Merveilleuse Anne SILA ! Ah, si tout allait vraiment bien, ce sont des artistes comme elle qui obtiendraient des Victoires de la Musique dûment gagnées ! Même pour le luxe-confort d'un album de reprises ; chose qu'à ce stade de sa carrière, après trois albums comme les siens, elle peut se permettre sans mal.

Réalisé par Ilan Abou, ancien du conservatoire, comme SILA et son bassiste de tournée, en plus d'avoir travaillé avec plein de monde comme Yves DUTEIL, Jane BIRKIN et (longuement) ZAZ, l'album Madeleines porte bien son nom. Clin d'oeil obligatoire à Proust, il permet à la dame talentueuse de revenir sur des mélodies qu'elle a depuis toujours en tête, très simplement. Et cette simplicité-là, on l'apprécie de sa part mieux que quiconque.

Le beau projet part d'une chanson de Gilbert BÉCAUD, "Je Reviens Te Chercher", souvent interprétée par SILA et son groupe en live, mais qui n'est au final pas incluse à la sélection. En revanche, Joe DASSIN ("À Toi") et Salvatore ADAMO ("Tombe la Neige") donnent d'emblée le sourire dans une vague funk-disco en vogue certes, mais d'une musicalité évidente. La voix-sourire d'Anne SILA n'a pas sa pareille, surtout pas chez les Clara LUCIANI, ANGÈLE etc. Même pour des classiques, il s'agit là de naturel, d'évidence rare. Le tout complété par Les accompagnateurs brillants que sont Ilan Abou, Jean-Philippe Fanfant à la batterie, par des cordes etc.

Seule une digne musicienne née à la fin des années 80 pouvait connaître "J'aurais Voulu te Dire" de Caroline LEGRAND (en partie écrite par François FELDMAN) et ne pas se tromper en y injectant des influences soul/r'n'b classieuses avec de la boîte à rythmes survolée par une guitare nylon. Un titre bien balancé, comme le plus désarmant "Chanteur" de Daniel BALAVOINE, où les contrastes sont beaucoup plus marqués qu'à l'origine en 78. Le début innocent chant sourire-cordes-harpe est vite contrebalancé par des refrains 'dark' et une ambiance hip-hop sans chichis, assénés comme il se doit. Peut-être pas du goût de tout le monde, mais la force que met SILA dans sa voix, particulièrement à la fin, ne peut tromper personne. Le niveau et la qualité sont bien là.

La suite de l'album est moins exigeante, mais aussi riche en perles, à commencer par la pop-rock sautillante de "Faut Pas Pleurer Comme a" de Daniel GUICHARD, pleine d'effets intelligents, pour mieux contrecarrer les phrases que les personnes sensibles entendent au quotidien. "Quoi" de Jane BIRKIN - puisqu'on l'a mentionnée -, dotée de beaux atours soft californiens, propose l'un des plus beaux refrains éperdus de l'ensemble, avec "Le Temps de Vivre" de Georges MOUSTAKI. Sur cette dernière, Anne SILA oscille entre magie et tendresse, double enchantement.

De sa part, d'autres surprises et atouts dans la manche nous sont révélés avec d'abord "Le Premier Pas" de Claude-Michel SCHÖNBERG, bijou perdu de 1974 sur la timidité, où le Fender Rhodes ici remplace judicieusement le piano d'origine, terminant l'album en apesanteur. Mention spéciale à la guitare électrique de Sébastien Giniaux ! La boîte à rythmes s'invite à nouveau sur "Qui Saura" de Mike BRANT (1972), pour un résultat moins emphatique et bien tourné en folk chaloupé.

Si cela ne suffit guère, en termes de douceurs, Anne SILA nous propose encore une envoûtante valse de DALIDA ("Pour Ne Pas Vivre Seul"), ainsi qu'un très simple et frais "Nous" emprunté à Hervé VILARD qui ne pouvait offrir meilleurs contraste et respiration après le BALAVOINE. Preuve qu'en plus d'être superbement interprété, Madeleines demeure bien pensé. Que dire alors de LA version de ce qui est, des dires de RENAUD lui-même, sa propre chanson préférée ? "Son Bleu", issu de son dernier album chef6d'oeuvre à ce jour (bientôt trente ans, sic !) perd en solennité ce qu'il a gardé en douceur enfantine, par une chanteuse qui sait y faire et ajoute un accordéon, attendu mais absent à l'origine, faisant même intervenir le piano plus tard.

Le choix de reprises est résolument variété sans doute, et alors ? Ces chansons parfois tubes déjà belles en leur temps passent parfaitement le cap, non du temps mais de la modernité, par la/les personne(s) qu'il fallait, ou alors d'une humble transmission, réappropriation. Sans prétention mais haut en couleurs, le Anne SILA 'pas si' nouveau est d'ores-et-déjà l'un des disques essentiels de 2023.