La vie d’un groupe est faite de va-et-vient, de départs et d’arrivées. Bref, de mouvement. En particulier un groupe comme La VARDA, connu pour célébrer le voyage et dont la musique est justement pleine de mouvement. Les concerts du collectif, depuis le dernier disque, sont davantage programmés un peu partout. Une intensité de sollicitations qui ne convient pas à tout le monde ; notamment pas à Danito, l’un des deux fondateurs. Il préfère alors prendre de la distance pour se consacrer principalement aux CROQUANTS, laissant donc son compère de toujours Frank Marty, alias M. Kif, mener cette roulotte folklorique dont il devient l’unique chanteur. D’autres départs, d’autres arrivées. La VARDA se stabilise à six musiciens pour la dernière partie de son existence, centrée autour de ce nouveau disque : Les chemins de l’errance.

Trois musiciens pour le rythme, trois autres pour la couleur ; voici l’alchimie très singulière de ces six hommes. Le batteur et son compère contrebassiste, ainsi que le guitariste (qui s’électrifie régulièrement), offrent une structure d’une grande solidité à l’ensemble de ces morceaux. Une énergie, une tension. Ils sont le vent, mais aussi la pluie et le tonnerre, les éléments qui secouent les voyageurs. La vie. Ils donnent à la musique du groupe un côté résolument rock, voire roc sur lequel s’appuie tout le versant folk porté par les trois autres compères. Parmi eux, se trouve un violoniste pur jus, ainsi que deux multi-instrumentistes. L’un joue à peu près de tout ce qu’un groupe folk joue (violon, accordéon, vielle, cornemuse…) tandis que l’autre complète par des instruments à cordes (banjo, mandoline) ainsi qu’avec son accordéon, sans oublier de tenir le chant.

Il y a du matos pour jouer de tout et, ça tombe bien, ils jouent de tout. La VARDA est un groupe de folks, au pluriel. Il puise son inspiration dans de nombreuses cultures européennes : Europe de l’Est ou balkanique, Irlande, pays du Sud, peuples gitans et même scandinaves. Le disque prend un air de nomenclature des racines du continent, mais avec toute la singularité sonore du collectif. Certes, ça part dans tous les sens, mais c’est tellement maîtrisé que cette voie est une évidence. Il y a un travail de dingue sur les transitions afin que tout s’aligne naturellement, pour que le voyage se déroule sans accroc. L’album nous embarque donc sans aucune difficulté dans ce mix de sonorités et d’énergies, allant du plus pur traditionnel jusqu’au plus saignant des punks folks, avec "Des fleurs dans la Seine", brûlot antinationaliste de tradition bérurière.

Kif est devenu le frontman, mais c’est une place qu’il a toujours aimé partager. Danito n’est plus là, aussi fait-il appel à d’autres voix, notamment féminines, pour l’accompagner. On reconnaît au passage celle de sa vieille complice Olivia à l'occasion d'un duo en italien saisissant ("Ah Vitabella"). Leurs interventions sonnent comme autant de cartes-postales envoyées au fil de la route, les accents en prime. A noter aussi que l’écriture des textes est partagée. Chaque musicien a amené les siens et ils ont décidé ensemble lesquels garder pour les mettre en instruments. Ils ont construit ainsi ensemble une âme, quelque chose de collectif : la voix de La VARDA. Celle-ci parle de choses plutôt profondes, de façon bien tournée. La philosophie du voyage sans doute. "Plus les hommes ont souffert, plus leur musique est belle" ; c’est cette réflexion qui ouvre l’album. Le chant n’est jamais là pour ne rien dire et c’est un ingrédient de la recette du groupe à ne pas négliger.

Lorsque La VARDA n’a rien à dire, c’est simple : elle joue. Les chemins de l’errance traversent de nombreuses contrées instrumentales. Ce sont notamment les "Voyages", dédiés à un folklore particulier (dans l’ordre Klezmer, Irlande, Suède et Hongrie). Autant d’instrumentaux enthousiasmants, variés et tonifiants, qui font tout le souffle de cette musique. Même si cet enregistrement a été réalisé en studio, les musiciens n’oublient pas de développer les parties de dialogues entre eux au sein de chaque morceau. C’est dès lors un vrai plaisir d’écoute et sans doute aussi de danse pour les amateurices. Notons pour finir que les voyages sont numérotés, de cinq à huit. C’est-à-dire qu’ils s’inscrivent dans la continuité de l’album précédent, où l’on trouve les quatre premiers de cette liste.

La VARDA avait fait un premier brouillon avec son premier enregistrement, dont on retrouve ici le poignant "O’Sullivan". Elle a ensuite sorti ses deux albums qui forment donc une sorte de diptyque. Lorsqu’on arrive au bout de ce voyage en deux parties, on ne peut que constater à quel point tout y a été pensé à sa juste place. Une œuvre d’une grande cohérence, dans son intention comme dans sa philosophie ou encore sa forme. Une vraie belle et grande réussite.
En délaissant le côté brut de l’enregistrement public, cette deuxième partie réussit en outre à maitriser parfaitement les dosages et les évolutions. L’alchimie y est parfaite, je n’ai aucun reproche à formuler. Simplement l’envie de partager la connaissance de cette œuvre aussi estimable qu’elle est concise. En effet, La VARDA a de plus eu le bon goût de ne pas en rajouter. C’est peut-être dommage en un sens car, évidemment, on aurait aimé en entendre davantage. Mais ainsi leur héritage n’a aucune flétrissure. Je ne sais pas pourquoi ces mecs se sont arrêtés alors que ça marchait plutôt bien. Il y a sans doute un rapport avec l’explosion d’Olivia RUIZ, que Franck Marty a choisi d’accompagner dans des tournées d’un autre calibre encore, ce qui n’a pas dû lui laisser le temps de correctement faire vivre La VARDA. Mais l’idée qu’ils se soient arrêtés parce qu’ils avaient réussi leur ouvrage est plaisante.