A la fin des fifties, Anita O’DAY traverse une période faste malgré une addiction à certains stupéfiants. Elle enregistre à Los Angeles son sixième album pour Verve Records lors de deux sessions les 2 et 3 avril 1958. Si on ne traînait pas à l’époque, curieusement, ces deux séances sont dirigées par deux ensembles différents avec à leur tête d’un côté le pianiste chef-d’orchestre Marty Paich, grand spécialiste du Jazz West Coast et accessoirement père de David, membre du groupe TOTO. La seconde session est menée par le californien Russell Garcia, auteur de plusieurs collaborations avec Julie London et Louis ARMSTRONG. Garcia recevra en 1972 l’Oscar de la meilleure musique de film pour sa contribution au film Limelight (Les Feux de la rampe) réalisé vingt ans plus tôt par Charlie Chaplin.

Le label Verve de Norman Granz diversifie judicieusement son catalogue entre Jazz Instrumental et Jazz Vocal alors que le registre connaît un certain déclin en raison de la vague Rockabilly sur le point de retomber à marée basse et du Rock'n'Roll. A l’instar de certaines de ses collègues (Ella FITZGERALD, Billie HOLIDAY) Anita O’DAY demeure encore en haut de l’affiche avec un répertoire peut-être plus facile d’accès.

Si le titre peut à première vue paraître vaniteux ou suffisant, il correspond néanmoins au répertoire constitué uniquement de reprises sans risque. Le disque part sur de bons rails avec "Take The A Train", compo du pianiste Billy Strayhorn et cheval de bataille de Duke ELLINGTON. L’ensemble dirigé par Marty Paich place la chanteuse dans le wagon de tête. Anita O’DAY délivre un bref passage de scat tandis que l’orchestration nous immerge dans un décor plein de swing. Une version selon nous plus captivante que celles d’Ella FITZGERALD ou Sarah VAUGHAN.
Elle tempère ses velléités avec "Tenderly", grand classique du pianiste Walter Gross que certains trouveront légèrement larmoyant. Autre standard avec "Interlude (Night In Tunisia)" de Dizzy GILLESPIE. Là encore, Anita O’DAY s’en tire plutôt bien, ne cherchant jamais à en rajouter, contrairement à certaines chanteuses adeptes de la vocalise et du scat à outrance.
Titre phare ou plutôt le plus connu de l’album Blue Haze de Miles DAVIS, "Four" s’écoute agréablement ; si certains regretteront le souffle du grand Miles, Jack Sheldon et Med Flory, deux anciens équipiers de Stan Kenton, tirent la chanteuse vers le haut.
O’DAY et ses arrangeurs ont assez de métier pour diversifier encore une fois le tempo, "Early Autumn" permet de reprendre son souffle pour une version beaucoup moins gorgée en glucose que celles de Ray CHARLES ou Jo Stafford. Composition la plus célèbre du clarinettiste Jimmy Giuffre rendue célèbre par Woody Herman, "Four Brothers" se révèle plein de fraîcheur. Les vocalises et le scat viennent en contrepoint des trompettes tandis que les autres instruments ne tombent jamais dans la facilité, à noter l’excellent passage à la batterie de Mel Lewis (ex-Stan Kenton, Pepper Adams, Herbie Mann).

La face B s’ouvre plus modestement avec "Sing, Sing, Sing, (With A Sing)", une pièce pourtant enlevée de Louis PRIMA créée trois ans après la prohibition en pleine ère du Swing et des Big Band. Si les versions de Louis Prima et de Benny Goodman sont à l’affiche de nombreux films hollywoodiens (Meurtre mystérieux à Manhattan – Casino – The Mask ou Florence Foster Jenkins) et demeurent le reflet d’une époque, la version chantée des Andrew Sisters connaîtra un bon succès. Si l’intro pétaradait dans le bon sens, Anita O’DAY ralentit nettement le tempo, gommant les paroles au profit d’un scat. Un titre toujours à la mode, les PUPPINI SISTERS l’ayant repris récemment.
Issue de Babes In Arms, une comédie de Broadway des années trente, "My Funny Valentin" a été repris à toutes les sauces (plus de 1300 fois). Cultivant mélancolie et tristesse, elle fait figure de chanson signature de Chet BAKER. Mais, comme bien souvent, le titre ne décolle pas une seule seconde, restant figé dans une coloration fade et paresseuse.
Changement de tournure avec "Frenesi" d’Alberto Dominguez. Si la version latine donnait le plus grand rôle au marimba, les versions américaines popularisées par Artie Shaw, Glenn Miller et Benny Goodman voient la clarinette endosser le job de jeune premier. Anita nous délivre une interprétation sobre et ne se croit pas obligée de baragouiner en espagnol, à l’instar de Natalie Cole, pour faire illusion.
Autre pioche issue d’une comédie musicale, "Body And Soul" * enregistré dès 1930 par une légion de jazzmen devient vite un standard archi-rabâché avec près de 1400 reprises. A l’image de nombreuses covers, Anita ne parvient pas à emballer cette ballade sentimentale apathique. Historiquement, le titre reste l’un des derniers enregistrés par Amy WINEHOUSE, membre éternelle du fameux Club des 27.
"What’s Your Story Morning Glory" se situe un peu dans la même lignée avec des nuances pleines de regrets, une mélodie et un texte ambivalent oscillant entre espoir et attrition. Les versions d’Ella FITZGERALD et d’Elkie Brooks nous paraissent à la fois plus douillettes et pétulantes.
Anita O’DAY termine son show sous les beaux rayons de soleil d’une rumba avec "The Peanut Vendor", adaptation américaine de "El Manisero", compo probable de Moisés SimÓns, pianiste cubain brièvement installé à Paris avant que les nazis ne l’expédient dans un camp. Le titre connaît une seconde vie après-guerre via l’instrumental de Stan Kenton. Chez nous autres, Dario Moreno, Cateria Valente et Anny Gould tenteront de nous faire danser la rumba, tandis que le duo Annie Cordy/Dalida se vautre avec "Le Marchant de cacahuètes", titre loin de valoir son pesant de cacahuètes. Si le disque s’achève sur un rythme dansant, on regrette la faiblesse des percussions et de la section des cuivres qui manque cruellement de grinta.

Ce disque constitué à 100% de reprises représente une chanteuse au mieux de sa forme, Anita O’DAY n’étant pas une auteure prolifique mais une interprète. On regrette les trois ou quatre plages plus paresseuses de la face B. Au niveau de l’orchestration et des arrangements, Marty Paich semble plus impliqué que Russell Garcia, un gars qui se spécialisera dans la musique de séries télé. A ranger entre Peggy LEE et Ella FITZGERALD. Il existe une réédition Verve en format CD avec 7 bonus.

Note réelle 2,5.


*Titre homonyme à ceux des Sisters Of Mercy et d’Anita Baker.