Originaire de Dubuisson, une bourgade située à une vingtaine de bornes au nord-est de Ville Plate, Lee Baker s’est d’abord fait connaître sous le nom de Guitar Junior, sobriquet sous lequel il enregistre une poignée de singles pour le label Goldband. Le guitariste connaît quelques petits succès locaux avec "Family Rules" et "The Crawl". Le nom de Guitar Junior étant déjà pris, il le change et devient The Lonnie BROOKS. Etabli à Port Arthur au milieu des fifties, il intègre l’orchestre de Clifton CHENIER, le roi du Zydeco, aux cotés de Lonesome SUNDOWN.
Au début des sixties, il devient membre de l’orchestre de Sam COOKE ; à l’image de nombreux bluesmen du Sud, il s’établit à Chicago, accompagne Little Mack SIMMONS et Jimmy REEVES. En 1969, il met en boîte son premier album Broke An’Hungry pour Capitol sous le nom de ... Guitar Jr.
En 1974, Lonnie intègre une première tournée européenne et profite de son passage en France pour graver l’album Sweet Home Chicago édité par le label français Black & Blue. En 1978, il participe au troisième volet de l’anthologie Living Chicago Blues publiée par Alligator Records avec quatre titres à la clef. Cette collaboration lui permet de décrocher un contrat avec le label dirigé par Bruce Iglauer qui le prend sous son aile.

Enregistré à Chicago, au Curtom Studios, ancienne propriété de la RCA, coproduit par Bruce Iglauer et Lonnie, Bayou Lightning permet de retrouver une équipe soudée et pleine de cohésion. Tous les membres de l’orchestre figuraient déjà sur le volume 3 de la compil Alligator. C’est ainsi qu’on retrouve une solide section rythmique avec le batteur Casey Jones (ex-Albert COLLINS, Earl HOOKER, Muddy WATERS) le bassiste Harlan Terson (ex-Otis RUSH), l’organiste Rob Waters (futur Little Al THOMAS, Jody WILLIAMS) et le guitariste rythmique Bob Levis (ex-Otis RUSH).
Si la pochette du photographe designer Jim Matuzik peut paraître surprenante voire fanfaronne, il faut noter que l’éclair envoyé par la guitare et qui foudroie le ciel était sa marque de fabrique, Albert COLLINS aura droit à une illustration similaire.

BROOKS signe un album assez personnel agrémenté de six compos pour quatre reprises. D’entrée de jeu avec "Voodoo Daddy", on se retrouve entraîné par le riff de guitare menaçant. Si les ombres du Delta et de la Louisiane planent sur le phrasé de gratte, on perçoit nettement une coloration plus âpre à l’instar du répertoire d’Otis RUSH ou Albert KING, deux de ses grandes influences. Sur "Watchdog" * le timbre se fait plus tranchant. Si la rythmique s’impose comme la gardienne du temple, on se laisse facilement charrier par la guitare du Louisianais. Le titre sera repris plus tard par Dave Specter. Le ton se fait plus moelleux et langoureux sur "Breakfast In Bed" **, l’harmonica de Billy Branch apporte une touche mississippienne tandis que le chant et la guitare montent soudainement d’un cran aux deux tiers du morceau pour retomber comme une crêpe. Si le chant se fait plus autoritaire sur "Worked Up Woman", ce sont encore les riffs de guitare qui accrochent l’oreille mis sur orbite par un nappage d’orgue. Brooks se montre également dans son élément avec "Watch What You Got", une belle pièce tempérée entre Slow Blues et Soul influencée par son passage dans l’orchestre de Sam COOKE. Dernière compo avec "You Know What My Body Needs" qui fait le pont entre Chicago Blues et Swamp des bayous ; la guitare aérienne par moment flamboyante fait penser au futur répertoire de Robert CRAY.

Quatre reprises viennent compléter le tableau. Lonnie reprend "Figure Head", titre du tandem Craig/Emerson qui figurait sur un single édité en 1964 par USA Records et qui était passé totalement inaperçu. Cette fois, la guitare est plus claire et plus tranchante. On remarque l’absence de cuivres par rapport à la version initiale débouchant sur une interprétation épurée et plus groovy. Il revisite complètement "In The Dark" de Junior PARKER, transformant le morceau en un Blues lent plein de feeling. Curieusement, alors que le titre est généralement repris à la sauce Soul avec harmonica, ici c’est encore une interprétation dépouillée, comme expurgée de ses grains de sable, que nous offre le guitariste. Il remet au goût du jour "Alimony", titre sixties de Tommy Tucker créateur du célèbre "Hi-Heel Sneakers". Si le titre avait fait l’objet d’une cover pantouflarde par Ry COODER, David Clayton-Thomas avait proposé une version Country Soul des plus chaleureuses. Là, Lonnie se montre plus classique, tandis que Billy BRANCH apporte son obole à l’harmonica. Enfin, si le Voodoo fait partie intégrante de la culture et des croyances louisianaises, le guitariste revisite "I Ain’t Supersticious", compo de Willie DIXON popularisée par Howlin’ WOLF. Là, Lonnie nous délivre une version assez classique avec un jeu de guitare qui s’engouffre entre ceux de Phillip WALKER et d'Eddie CAMPBELL. Un titre qui fait office de shuffle et dont Stevie WONDER avait honteusement tenté de s’accaparer les mérites.

Ce second opus reste selon nous le disque de référence de cet attachant guitariste. Le répertoire sincère et cohérent, une orchestration aux petits oignons avec une rythmique dynamique, des mélodies accrocheuses pleines de changements de rythmes et de nuances restent des atouts inégalés. Lonnie BROOKS parvient ici à tisser un véritable pont entre le Swamp Blues et le Blues plus râpeux de la Windy City.


*Titre homonyme à ceux de Dorothy Williams et Don Covay.
**Titre homonyme à celui d’Eddie Hinton et Donnie Fritts.