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John COLTRANE - A Love Supreme (1964)
Par MR. AMEFORGÉE le 14 Février 2008          Consultée 13692 fois

Lorsque l’on entre en jazz, on ne tarde pas à apprendre quels sont les itinéraires de pèlerinage obligatoires, ces hauts lieux où souffle l’esprit : il y en a toujours au moins deux qui s’imposent, le Kind of Blue de Miles Davis et A Love Supreme de Coltrane. Non pas qu’il n’y en ait pas d’autres aussi intéressants, aussi passionnants, aussi importants, mais tout simplement parce que la postérité, ce mélange entre goût du public, réputation, considérations intellectuelles, artistiques et historiques, a tranché, de ce coup de lame à la fois raisonné et un peu arbitraire qui fait les élections des uns et les défections des autres. Libre à chacun, ensuite, de leur préférer un Bitches Brew ou bien un Giant Steps, par exemple, mais il n’en demeure pas moins des indices qui expliquent pourquoi on les considère comme des pierres angulaires.

En effet, dans le parcours de Coltrane, A Love Supreme est à la croisée des chemins. Mieux, c’est un jalon capital : à la fois expression ultime du jazz modal que le saxophoniste a contribué à établir à travers des albums tous plus enthousiasmants les uns que les autres et annonce des révolutions à venir, le grand saut dans les régions éthérées du free-jazz. Mais ce n’est pas que ça. La suite de quatre mouvements, dans une perspective existentielle, est conçue comme une offrande à Dieu, car chez Coltrane la musique est quête spirituelle. De fait, il ne s’agit pas juste d’une recherche musicale sur le plan purement rationnel du terme, ni d’un travail superficiel sur l’affleurement émotionnel, mais l’ensemble se présente comme l’extension, comme l’expression d’une intériorité qui aspire à une forme d’absolu. Et que l’on soit croyant ou non, cela confère une densité décisive, que d’aucuns qualifieraient de « supplément d’âme », à l’ouvrage.

Mais heureusement, on n’est pas obligé de se référer à une quelconque métaphysique transcendantale pour déguster l’œuvre, loin s’en faut : la musique suffit. Tout d’abord, on peut constater que A Love Supreme, par rapport aux albums précédents, présente une étoffe sonore d’apparence très sobre, très mesurée, là où, par exemple, My Favorite Things déployait des harmonies chatoyantes, là où Olé Coltrane exhalait un parfum d’un raffinement capiteux ou bien là où Crescent, enregistré en cette même année 64, se répandait en vagues de lyrisme. Mais ensuite, A Love Supreme n’affiche pas non plus de piété forcée, qu’on s’imaginerait excessivement solennelle, austère, tristement sérieuse : la vibration du jazz, avec l’élasticité du swing, avec la spontanéité fulgurante de l’improvisation, crée une partition organique, presque tellurique, dont on n’est pas obligé de saisir les aspirations religieuses ; le quartet nous sert d’ailleurs quelques moments de bravoure qui dégage une puissance et une énergie phénoménales, rien à voir avec le morne chant d’église. Libre des préjugés du clivage musique profane/musique sacrée, A Love Supreme est avant cela une œuvre de musique populaire, au sens noble du terme.

Cela dit, entrons dans le vif du sujet : qui parle de suite, implique qu’il y ait une sorte de trame narrative. On part du « plancher des vaches » pour ainsi dire, accueilli par un coup de gong sur « Ackowledgement » pour finir dans le recueillement de la méditation, sur « Psalm », dans un roulement de batterie et des lignes de cuivre en apesanteur. Entre les deux, il y a de multiples rebondissements, des moments de doute, de tumulte, et des moments d’apaisement. Jamais statique en somme, A Love Supreme est mouvement, flèche de désir. Si les quatre syllabes du titre (« a love supreme, a love supreme… ») donnent le thème, au sens musical du terme, de la première partie, déterminant à la fois la pulsation rythmique et le point de départ mélodique à partir duquel le saxophone prendra son envol, en phrases courtes et précises, tenant à une ligne claire, ce sera à la façon d’un cœur qui génère un mantra de battements, et permet donc la vie, le mouvement, le changement.
Souvent, pour parler de l’album, on met en avant Coltrane, ce qui est légitime puisqu’il est en quelque sorte la figure de proue géniale, qui fend la mer à coup de phrasés cinglants, intelligents, virtuoses, et qui donne ainsi la direction au navire, mais c’est oublier bien facilement que derrière le grand timonier, on trouve trois mousses qui souquent ferme. Les arrangements au piano apportés par McCoy Tyner permettent notamment d’éviter que le jeu ne paraisse trop âpre, effets de dentelle subtils et lumineux, nécessaires (et qui expliquent pourquoi l’on peut parler de sobriété, mais pas d’austérité). La basse de Garrison, outre le fait de marquer le tempo (parfois toute seule d’ailleurs), trouve à s’exprimer dans quelques solos qui apaisent les tensions et injectent un peu de la solennité du sentiment religieux ; c’est en ce sens que l’on appréciera la coda de « Pursuance », où l’onde flexible et chaude nous enveloppe comme une chape protectrice. Toutefois, si l’on ne devait garder que deux musiciens (idée stupide dans l’absolu, je l’accorde), on serait obligé de sauver, avec Coltrane, Elvin Jones à la batterie. Le jeu développé, qui donne une certaine prééminence aux percussions, à la persistance sonore claire, presque blanche, est d’une ampleur ébouriffante, moins rythmique qu’ornemental d’ailleurs (en réalité polyrythmique) : parfois, on a l’impression d’être emporté dans un tourbillon de poussière. « Resolution » et « Pursuance » en sont sans doute les exemples les plus frappants (au sens littéral du terme, si l’on peut dire).
En tout cas, la métaphore du navire fonctionne suffisamment pour laisser entendre qu’il ne s’agit jamais d’exercices d’ego stériles, mais que cela signifie bien qu’une cohésion d’ensemble charpente l’improvisation du quartet. Et c’est bien là toute la valeur de l’album : quittant les rivages de la terre, voguant sur une mer parfois déchaînée, les jazzmen odysséens se dirigent vers le ciel, qu’ils espèrent source de toutes réponses.

A Love Supreme n’est pas hermétique. Ni chaotique, comme pourront l’être les efforts suivants, ni mièvre, comme ont pu l’être parfois les opus précédents. Eprouvant peut-être, par instants, à cause du feu qui dévore les instrumentistes, obligés qu’ils sont de se dépasser à la manière d’un Prométhée entêté. Cela dit, se déployant sur une simple demi-heure, la porte est laissée ouverte à l’auditeur, qui, curieux, serait tenté d’aller jeter une oreille du côté de chez Coltrane. On ne sort pas de l’expérience indemne, et il n’est pas dit que cela soit en mal. Avis donc au mélomane averti.

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   MR. AMEFORGÉE

 
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- John Coltrane (saxophone tenor)
- Jimmy Garrison (contrebasse)
- Mccoy Tyner (piano)
- Elvin Jones (batterie)


1. Acknowledgement
2. Resolution
3. Pursuance
4. Psalm



             



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