Le sept mars 1963 John Coltrane est en studio avec son Classic Quartet (Jimmy Garrison (contrebasse), Elvin Jones (batterie) et McCoy Tyner (piano)) pour enregistrer l’album John Coltrane & Johnny Hartman album plutôt « sage » surtout quand on connaît la suite. La veille, le groupe a enregistré plusieurs titres, Coltrane emporte les bandes chez lui, les pose certainement dans un coin, et les oublie…
Naima, sa première femme les récupère on ne sait pas trop comment, et les remet à son label, Impulse!, qui avait brillamment détruit le master original par erreur. 55 années plus tard dans la série « la légende des albums perdus » il sort chez Impulse!

Beaucoup d’artistes ont connu ce genre de situation. Hendrix par exemple a « sorti » beaucoup d’albums perdus, trafiqués, depuis sa mort, sans vraiment qu'ils présentent un intérêt primordial sauf pour la famille qui dort sous les paquets de dollar. Pour Coltrane, il faut admettre que quasiment toutes les sorties post-mortem sont effectuées avec respect et présentent des éléments nouveaux, les vautours dans le jazz semblant avoir les griffes moins acérées. Et s’agissant d’une session, on peut penser que les bandes n’ont pas été bidouillées.

Cette session comprend deux compositions jamais réinterprétées par la suite (« Untitled Original 11383 » et « Untitled Original 11386 »), une version courte et sans piano d’Impressions, « Nature Boy » qui figurera avec un arrangement différent sur The John Coltrane Quartet Plays, « One Up, One Down », « Slow Blues » et un air d’opérette « Vilia ». 1963 est une année charnière dans la carrière de Coltrane, il se sépare de son épouse, il quitte Naïma et emménage avec Alice McLeod. Le quinze septembre, il est profondément marqué par l’attentat du KKK qui tue quatre petites filles dans l’église baptiste de la 16ème rue à Birmingham (Alabama) et enregistre en leur mémoire Alabama. C’est aussi et surtout à cette époque, qu’il évolue vers le free-jazz, cassant les codes, bousculant ses musiciens.

C’est quasiment un adieu au jazz conventionnel, on sent la pulsion avant-gardiste du musicien prête à exploser face à ses musiciens qui, pour l’instant, semblent prêts à explorer, avec lui, de nouvelles voies. La musique proposée est entre deux tendances, l’aspect classique développé avec brio par le quartet et déjà quelques envolées free qui annoncent les temps nouveaux qu’on retrouvera en plus marquée sur l’album Impressions qui sortira en juillet 1963.

Rudy Van Gelder est derrière la console, et saisit parfaitement l’intensité musicale et la subtilité de chaque musicien. C’est presque intime, et Coltrane est particulièrement inspiré au sax soprano, les deux inédits deviennent immédiatement des références dans l’univers du musicien.

Cet enregistrement est comme une pièce manquante dans le gigantesque puzzle coltranien, il démontre, si besoin, l’incroyable richesse créative du musicien et les possibilités quasi illimitées de son quartet, capable de suivre sans sourciller les envolées de leur leader.