Folkocratie est tout à la fois le onzième album de Rufus WAINWRIGHT et le disque qui célèbre les cinquante ans du chanteur Nord américain. Une bien triste célébration à mon sens, tant cet album décevant est bien loin de rendre hommage au talent du bonhomme. Pourtant, la proposition semblait alléchante : réunir une flopée d’artistes pour l’accompagner dans des reprises ou réinterprétations de certains de ses propres titres, cela semblait une excellente idée. D’autant plus que la liste des invités était assez prometteuse : David BYRNE (TALKING HEADS), Sheryl CROW, Chaka KHAN, John LEGEND, Andrew BIRD, Brandi CARLILE, Chris STILLS (le fils de Stephen STILLS et de Véronique SANSON), Susanna HOFFS (The BANGLES). Sachant qu’à ces artistes s’ajoutent certains membres de sa famille, dont ses deux sœurs, Martha Wainwright et Lucy Wainwright.

Mais le résultat est terriblement décevant tant il en résulte principalement une suite de morceaux errant mollement entre Pop et Folk, avec comme dénominateur commun une fadeur et une indolence exaspérantes. Le sommet est atteint avec "Arthur McBride" qui flirte même avec les limites du désagréable. Une sorte de Folklore mi-irlandais, mi-américain qui rappelle ce que faisaient, avec bonheur, les POGUES à la période Fairytale of NY. Mais ici, c’est dissonant et confus. On retrouve cette double influence irlandaise et américaine sur "Wild Mountain Thyme", une chanson traditionnelle qui a déjà entre autres été reprise par Glenn FREY, Joan BAEZ ou Van MORRISON, et qui peine également à convaincre.

Et ce constat est le même pour la quasi totalité des morceaux proposés ici. La chanson traditionnelle américaine "Cotton Eyed Joe" (qui donnera bien plus tard le Hit "Cotton Eye Joe" sous la houlette de REDNEX) est proposé ici dans une version soporifique et fade. La reprise de THE MAMAS AND THE PAPAS, "Twelve-Thirty", si elle n’apporte pas grand-chose à l’originale, a au moins le mérite de bien recapturer l’esprit et le son de ces rois/reines de la Pop sucrée des années 70. Et d’être assez agréable. Tout au plus oserais-je dire qu’au regard des participants qui ont été conviés, à savoir Susanna HOFFS, Chris STILLS et Sheryl CROW, on était peut-être en droit d’en attendre beaucoup plus.

Je n’aurai pas la même indulgence avec la reprise du "Harvest" de Neil YOUNG délivrée ici dans une version qui privilégie un violon grinçant et crispant à un souffle de passion qui fait cruellement défaut. Et que dire de la fantastique chanson "Going to a Town" présentée ici dans une version pompeuse et sans âme qui la dessert totalement ? L’interprétation musicale est poussive, le chant, partagé avec la chanteuse ANOHNI, est peu inspiré et fade. Ce morceau est pourtant d’une beauté absolue dans sa version originale. Quelle tristesse ! Comment peut on desservir autant des morceaux foncièrement aussi bons ? Comment peut-on dévoyer son talent à ce point ?

Alors, essayons de voir le bon côté des choses : ce disque est surprenant et, en matière de reprises, c’est plutôt l’effet recherché. Rufus WAINWRIGHT essaye souvent de nous prendre à contre-pied en s’éloignant fortement des versions originales des morceaux qu’il nous propose ici. Mais le parti-pris de favoriser une Folk excessivement calme ne s’accommode pas des chants relativement peu puissants et modérément inspirés auxquels nous avons droit. Le fait que l’inspiration soit très anglo-saxonne ne facilité pas non plus l’assimilation par un public européen (continental). De ce fait, difficile d’imaginer que Folkocratie puisse trouver un large public en Europe tant le style qui l’anime est éloigné de nos repères habituels.