Je ne suis pas aussi beau gosse que le héros de Death Note, c’est un fait somme toute avéré. Pour ce qui concerne l’état d’esprit, c’est autre chose (je n’ai d’ailleurs toujours pas franchi le pas mais ceci est une autre histoire).

Ainsi donc, l’autre jour, je m’apprêtai à surfer négligemment sur la toile, afin de réunir quelques informations en vue de reprendre l’aventure que j’avais initiée concernant DRIVE LIKE JEHU quand je suis tombé sur pléthore d’articles labellisés À la une. Ce n’est pas toujours très bon signe quand on s’intéresse à une personnalité relativement publique. Cela ne l’était définitivement pas.

Eric dit Rick FROBERG s’est éteint le 30 juin 2023 de causes naturelles plutôt jeune, affichant 55 printemps au compteur. Une fin plutôt discrète, avec peu de battage ou de bruit, contrastant finalement nettement avec ce qu’il pouvait produire dans un studio d’enregistrement ou sur une scène. Je n’avais ainsi plus aucune excuse pour mettre fin à cette procrastination, et puis quel hommage plus sincère que d’écrire à propos de sa musique, que finalement nous sommes peu à connaître vraiment.

Je vous avais laissé sur leur premier album éponyme sorti en 1991, primal cri de rage qui déjà démontrait une très forte identité. Suite à cela, le quatuor américain sort un single un an plus tard, Hand Over Fist/Bullet Train to Vegas et contribue à la compilation Head Start to Purgatory en proposant une inaugurale version de "Sinews". Ces trois morceaux seront proposés en bonus de la réédition réalisée par Swami en 2002 du second disque envoyé par DRIVE LIKE JEHU en 1994, fruit de leur signature conjointe avec ROCKET FROM THE CRYPT sur Interscope Records. Il est enregistré et mixé par le batteur Mark TROMBINO avec une jaquette encore assurée par FROBERG, un encrier déversant son anthracite tout autour de lui, composant même le lettrage affiché.

Un riff de basse crasseux, deux guitares-alarmes se renvoyant la faute, une batterie meublant le peu d’espace restant et une première phrase crachée à la fois ironique en diable mais aussi à la résonance à présent particulière. Triste de se dire que c’est à présent terminé. Bienvenue dans "Here Come the Rome Plows" ! Étant donné les origines bibliques caractérisant le patronyme du groupe, on pourrait croire à un nouveau titre tiré des écritures. Les Rome Plows sont en réalité les bulldozers blindés manufacturés en Géorgie utilisés par les soldats américains pendant la guerre du Vietnam pour détruire les forêts dans lesquelles les Viet Congs se cachaient. Le fameux crime yankee, ces deux mots constituant d’ailleurs l’expression finale de la chanson ?

Une ouverture tueuse convoquant les mêmes ingrédients précédemment découverts sur Drive Like Jehu : écriture complexe mise au service de structures labyrinthiques, breaks inattendus, riffs incisifs, dissonances, chant passionné juvénile. Cependant, le résultat paraît plus maîtrisé et maturé pour un disque chimiquement pur et compact ne laissant aucune place à un quelconque doute.

"Do You Compute" s’ouvre sur un riff mécanique, mise en musique parfaite des calculs incessants prenant place dans un cœur d’ordinateur. Ou d’être humain, épuisé par jugements permanents et n’ayant pas besoin qu’on lui rappelle tout ce qui peut lui manquer une nouvelle fois. Un conflit larvé explosant finalement via "Sinews", bluescore sans ambiguïté dans lequel le narrateur montre la porte à son ancienne partenaire et qui succédait pourtant à une déclaration d’amour assez geek bien qu’apparemment sincère (tu es mon intérêt humain).

Le longue-durée "Luau" constitue un autre moment marquant. Syncopé et traversé par des solos épileptiques, la chanson n’est absolument pas une revisite du titre éponyme entendu chez Disney dans Le Roi Lion. Éminemment politique, elle s’intéresse aux dommages causés aux îles hawaïennes par le tourisme de masse et l’exploitation de l’Ouest, au premier plan les USA, et proposant en guise de solution une purge des non-locaux, les haoles. On retrouve d’autres mots typiquement hawaïens et positifs sur un refrain intense qui manie à nouveau une ironie mordante : aloha souvent employé pour souhaiter la bienvenue, synonyme d’amour ou affection et donc luau désignant le festin créé en 1819 par le roi Kamehameha II où hommes et femmes furent conviés ensemble à la même table pour la première fois, prenant ainsi une distance avec les coutumes anciennes.

Ailleurs, d’autres addictions, à des produits réels ("Golden Brown" alias l’héroïne) ou totalement fictifs. "New Math", comme pour mieux brouiller à nouveau les pistes à une voyelle près ? Un concurrent s’engouffrant dans une brèche – à l’image du K-Priss mentionné dans Le Dieu Venu du Centaure, roman complexe signé K. Dick – dont les tests ont été quelque peu bâclés par profit. Le narrateur s’y plie, par loyauté pour son entreprise, jusqu’à finalement se faire avoir, pris dans un complot paranoïaque où des clones pénètrent chez lui par effraction.

Après une tournée pour défendre ce nouvel enregistrement, DRIVE LIKE JEHU se sépare confidentiellement en 1995, leurs membres préférant se consacrer à d’autres projets. Ils laissent derrière eux en guise de testament une pièce maîtresse incandescente à l’influence considérable et dont les critiques se délecteront très justement.

Yank Crime ou le Who’s Next du post-hardcore, cette ambiance de bar au petit matin puant le tabac froid et l’alcool frelaté, traînant une gueule de bois tenace et quelques petites tâches de vomi sur le t-shirt, ultimes vestiges d’une soirée agitée déjà bien lointaine.