Suite à diverses contrariétés juridiques, Gerry RAFFERTY est resté en stand-by pendant trois ans suite à l’arrêt de STEALER WHEEL, duo qu’il formait avec son compère écossais Joe Egan. En janvier 78, Rafferty plaçait son nom en grand sur la carte de l’industrie du disque avec la sortie de City To City, album qui détrônait la bande originale du film Saturday Night Fever.

Tout juste un an après le succès de City To City porté par le hit "Baker Street", l’Ecossais remettait le couvert avec une certaine réussite. On retrouve à la production la même paire Gerry Rafferty/Hugh Murphy ainsi que certains sessionmen de l’opus précédent : le guitariste Hugh Burns, le bassiste Gary Taylor, le saxophoniste Raphael Ravenscroft, le clavieriste Tommy Eyre, le multi-instrumentiste Graham Preskett et la choriste Barbara Dickson. Parmi les nouveaux venus, Rafferty et Murphy ont fait appel à d’intéressants accompagnateurs : le bassiste Mo Foster (ex-Bonnie TYLER, CERRONE), le batteur Liam Genockey (ex-Amalgam, GILAN), Richard Harvey (ex-GRYPHON).

Si RAFFERTY est un personnage tourmenté, souffrant depuis longtemps d’une addiction à l’alcool, c’est aussi un perfectionniste patenté. Remarquablement épaulé, le guitariste nous concocte une galette dans laquelle paroles, arrangements et mélodies flirtent avec les sommets de la Pop. Le titre d’ouverture, "Days Gone Down" nous plonge dans une douceur aux confins du romantisme, ballade sentimentale gorgée de rédemption à mi-chemin des DOOBIE BROTHERS et de Jackson BROWN. Le jeu de piano de Graham Preskett y impulse une atmosphère presque solennelle. Cette teinte de douceur se retrouve sur plusieurs pistes. Le texte de "That The Way You Do It" laisse place au doute. on ignore si le chanteur remercie son âme sœur ou la bibine qu’il s’enfile parfois dans la démesure. L’orchestration met en exergue une mélancolie qui se déguste sans le moindre arrière-goût. Sur "Family Tree" **, l’orgue à tuyaux de Richard Harvey nous propulse dans le passé, l’instrument favorise ici une remontée dans le temps. Contrairement à de nombreuses pistes, ce décor vers un temps révolu est brossé par une touche d’espoir portée par le texte. Si la mélodie d’"Already Gone" poursuit une ligne aussi linéaire que cohérente, les paroles demeurent toujours aussi peu enjouées, le doute s’inscrivant à travers un rêve qui se répète à l’infini, comme une marque au fer rouge. Comme souvent chez RAFFERTY, la solitude, un sentiment d’abandon et une mésestime de soi vont souvent de pairs, en atteste "It’s Gonna Be A Long Night" ***.

La cadence monte d’un cran avec "Get It Right Next Time" : le piano de Tommy Eyre, la basse de Garry Taylor et la gratte de Burns influent un climat plus groovy, alors que le sax sert de point de contraste. L’accordéon de John Kirkpatrick apporte une touche gaélique et festive à la ballade "Why Won’t You Talk To Me", chanson sur les incompréhensions et les non-dits au sein d’un couple. Si le violon, l’accordéon et un penny whistle apportent une ambiance celtique à "Take The Money And Run" ****, titre à mi-chemin de Michael McDonald et des DOOBIES BROTHERS, les synthés et guitares prennent le relais, tandis que le sax de Ravenscroft se prend pour une cornemuse.

S’il fallait désigner le maillon faible, "The Tourist" remporterait probablement de nombreux suffrages. Le titre se démarque de l’ensemble, s’orientant vers un mélange de Pop Rock au parfum discutable, d’autant que le saxophone prend une sonorité estampillée eighties.

Terminons notre tour d’horizon avec "Night Owl" *, titre de l’album superbement illustré par la pochette du dessinateur dramaturge écossais John Patrick Byrne. Reposant sur une orchestration qui laisse planer un léger parfum de nostalgie ou de regret, c’est en fait une sorte d’autoportrait auquel nous confronte l’auteur, une peinture sombre et sans concessions de son quotidien.
Plus cohérent et équilibré (trop peut-être ?) que son prédécesseur, Night Owl constitue néanmoins en filigranes la continuité de City To City. Il ne manque qu’un tube intemporel comme "Baker Street", mais les miracles se produisent rarement deux fois d'affilée aussi vite. Enregistré au Chipping Norton Recording Studios, dans l’antre de l’ancienne base du label Blues Horizon de Mike Vernon, Night Owl est un album où l’intimité, la poésie et une orchestration sans faille sont toujours les meilleurs atouts. Tel la chouette ou le hibou régnant dans les forêts, RAFFERTY délivre ici son second coup de maître.


*Titre homonyme à ceux de Tony Allen et James Taylor.
**Titre homonyme à ceux de Sharon Brown, The Staples Singers et Belle et Sebastian.
***Titre homonyme à celui de Gary Portnoy.
****Titre homonyme à celui de Steve Miller.