A l'heure où j'écrivais cette chronique, le groupe ALTIN GUN se produisait aux Etats Unis pour une série de 14 concerts, une tournée débutant à Pittsburg le 12 juillet et s’achevant à Brooklyn le 31 juillet. La formation turco-batave vient de contribuer à la bande son d’un jeu vidéo Star Wars : Jedi Survivor, la suite du jeu Fallen Order, distribué par la firme Disney. Cette collaboration inattendue pas forcément contre-nature a-t-elle décuplé la notoriété du groupe ? Nous doutons quelque peu que les péripéties entre le guerrier Jedi Cal Kestis et l’Empire aient servi de tremplin au groupe.

Si encore une fois la pochette ne renseigne guère sur le contenu avec une illustration de Muhammad Fatchurafi, un dessinateur basé à Java adepte de mélanges surréaliste, impressionniste et enfantin, les deux masses rocheuses ocres peuvent évoquer un paysage de Cappadoce. Le visuel dorsal se révèle plus vintage avec six photographies en noir et blanc des six musiciens. Malgré deux changements de line-up, la colonne vertébrale de la formation reste identique, à savoir la section rythmique et la paire de chanteurs avec Merve Dasdemir et Erdinç Ecevit, également remarquable joueur de bağlama électrique.

Si le visuel rappelle grosso modo les pochettes de style peintures naïves à base de paysages, la recette,elle, ne change pas. Le groupe imprime encore une fois sa méthode : des titres issus du folklore anatolien et kurde revus et corrigés à la sauce Electro Pop.

D’entrée de jeux les claviers impulsent un rythme élevé rappelant le côté New Wave et Synthé Pop du début eighties. Une particularité qui contraste avec le chant d’Erdinç Ecevit Yıldız et le phrasé d’un bağlama électrique, instrument qui se pose comme une véritable marque de fabrique. L’effréné "Badi Badah Olmadan" provient d’une compo de Selda Bağcan (influence déclarée de FLORENCE & The MACHINE), guitariste militante ayant œuvré dès la fin des sixties et emprisonnée plusieurs fois après le coup d’état de 1980. Une vidéo issue d’un show pour la radio FIP circule sur la toile, pour résumer une moitié d’un univers à la TALKING HEADS combinée à du Folk anatolien. Excellente reprise en mode Electro Pop de "Canim Oy", d’Ahmet Kaya, fervent partisan du Parti des Travailleurs du Kurdistan, chassé de son pays et exilé à Paris. Autre belle pièce mélangeant Electro Pop et Acid Folk avec "Leylim Ley", composée par le romancier chanteur et ancien parlementaire Zülfü Livaneli sur un texte de Sabahattin Ali de 1937, journaliste romancier turc s’étant opposé à Kemal Atartûrk, premier Président de la République de Turquie.

Le tempo baisse d’un cran avec "Su Sisiyor" une ballade de la chanteuse Sabahat Akkiraz, ancienne parlementaire opposée à l’actuel Président Recep Erdoğan. Si la basse bien ronde imprime un groove doucereux, le chant hypnotique de Merve Dasdemir nous entraine dans les tréfonds de cette complainte Folk Psy.
Autre petite douceur avec "Dere Geliyor", œuvre de la chanteuse Tulay German, réfugiée dans l’Hexagone au milieu des sixties suite à de multiples persécutions. Là encore, le timbre de Merve associé au son des synthés et d’une darbouka nous laisse dériver sur de sinueux méandres, tandis que le jeu de guitare évoque par moment celui de Chris ISAAK. Sous la forme d’un mid tempo "Çit Çit Çedene" marque un retour vers un Folk Psy anatolien marqué par des synthés sonnant New Wave ; les intonations d’Erdinç Ecevit apportent un sentiment de mélancolie. Il faut bien tendre l’oreille pour reconnaitre "Güzelliğin On Para Etmez", un air traditionnel d’Aşık Veysel, troubadour non voyant auteur de nombreux poèmes et chansons célébrant la Guerre d’Indépendance turque. Si ce Folk était à l’origine interprété uniquement à l’aide d’un saz, la présente version bénéficie d’un accompagnement de claviers privilégiant la suavité.

Une compo vient fleurir ce retour aux racines : "Doktor Civanim" qu’on croirait sorti tout droit du début des eighties, un titre Electro Pop à cheval entre Cerrone et le "Follow Me" d’Amanda Lear.

Enregistré par Jukha Sarapää et Sami Kantelinen, les deux fondateurs du label finlandais Timmion Records et producteurs de Nicole WILLIS, "Rakiya Su Katamam" apporte une autre dimension. Cette reprise du chanteur acteur Selami Sahin portée par une intro de basse hyper graveleuse se retrouve complètement transfigurée, Altin Gûn vient de transformer une chansonnette turque en une pépite de Rock Psy anatolien digne de Kerin KORAY. La combinaison des instruments orientaux associés à ceux du Rock confèrent encore un cachet particulier. Autre fait d’arme avec "Kalk Gidelim", une pièce lente hyper groovy. Le baglama, la guitare, la basse et le chant sensuel de Merve constituent des atouts de première main reposant sur une mélodie aussi accrocheuse qu’envoutante. Le titre décroche la Mention du meilleur morceau.

Si le groupe privilégie une orchestration plus orientée sur l’Electro Pop des années 80 par rapport aux albums précédents, la recette de ces reprises de vieux titres traditionnels revus et corrigés demeure toujours aussi gouteuse. Le groupe a incontestablement pris de l’assurance. Si les textes dénoncent souvent une injustice sociale à travers des auteurs qui ont souvent dû fuir leur terre natale, le baglama et les chants exercent une attraction envoutante. L’assemblage des instruments dédiés au Rock et à la Pop et du baglama électrique et des percussions constituent un plus incontestable. Si la formation se produit abondamment, la scène et un contact avec de nombreux publics lui ont permis de se forger une âme par l’entremise d’un répertoire peu connu mais terriblement magnétique. La symbiose entre les différents membres est de plus en plus évidente. Le grand retour de l'Anadolu Rock.