C'était un retour inattendu, c'est devenu un rendez-vous. Depuis qu'ils ont relancé la machine il y a huit ans déjà, les CITY WOODPECKERS ont été sur tous les fronts, donnant plusieurs dizaines de concerts (dont ils ont extrait un album live) et proposant en 2019 le très bon album Some Days qui a connu un écho national avant de voir sa promotion abandonnée alors que la France se refermait sur elle-même en mars 2020, laissant la culture sur le côté. Les conséquences ont néanmoins été gérables pour ces quatre grands gamins qui jouent pour le plaisir, pour l'amour de leur musique, et pour célébrer cette amitié qui dure depuis 35 ans. Ces gars-là, c'est viscéral, scellent leurs destins croisés dans le feu brûlant de cette musique rock, rugueuse et brute, qu'ils chérissent et célèbrent depuis plusieurs décennies.

Feel The Devil démontre une nouvelle fois combien le rock compte pour ces quatre doigts de la main. Fruit de trois années d'écriture et de composition, ce nouvel album bénéficie d'un son particulièrement clair et puissant, apporté par le travail de production du cinquième doigt Richard Nury. Capté sur plusieurs semaines à la fin 2022/ début 2023, Feel The Devil prend ainsi bien vite des allures de pavé dans la mare, procurant un plaisir d'écoute immédiat. Il y a quelque chose de savoureux à ressentir et apprécier chaque note de la vrombissante et inventive basse de Jo, qui apporte une épaisseur et constitue une nappe sonore sur laquelle la guitare lead aventureuse de Bubu peut s'épanouir à loisir. Si les quatre musiciens font preuve d'un talent et d'une qualité d'interprétation remarquables, il faut bien reconnaître, c'est naturel, que la guitare lead cristallise l'attention, tant Bubu sait faire crier son instrument avec une énergie et un savoir-faire délectables, fruit de décennies de travail acharné et d'une passion inébranlable. Dépositaire de la force mélodique de ce nouvel album, la guitare lead est ici un cheval sauvage dont la classe nous enivre et nous réjouit. Bravo Bubu !

A la frontière du hard rock, "Feel the Devil" démarre les hostilités avec énergie et bravoure, porté par un riff volontairement rugueux, presque "crade", contrebalancé par une basse ronde dont les saillies participent à construire une belle intensité. La combinaison est gagnante avec la batterie belliqueuse de Jacko, dont la dextérité force le respect. Sur cet ensemble, le chant en Anglais parfois faussement nonchalant, parfois lancinant de Franky apporte une sorte de retenue, une classe presque british à la Clash. Mais loin de la désinvolture, le chant sait aussi se faire méchant et vindicatif lorsque les conditions l'exigent, comme sur "Butterfly", titre déjà connu, porté par une frénésie rock et un refrain d'excellente facture.

Le rock des CITY WOODPECKERS est à la fois authentique et élaboré, le groupe proposant d'intéressant travaux sur les chœurs, notamment sur un titre tel que "Are You Going Down", porté par un assemblage audacieux entre couplets et refrain, et agrémenté d'un solo flamboyant, dont la pureté mélodique renvoie aux glorieuses années 80. Sur "Bad Boy" une intro définitive, nous renvoie aux grandes heures de SPRINGSTREEN, tandis que des sonorités plus pop viennent tempérer le morceau. La basse fait une nouvelle fois des merveilles sur "Fogman" ou elle fait plus que compléter la guitare : elle la réhausse. A noter que sur ce titre, Doo Doo, guitariste de Ganafoul, vient poser quelques notes de Stratocaster sur le solo final.

Majoritairement énergique, Feel The Devil balaye un large spectre d'influences, allant du rock de NOIR DESIR (on pense aux ambiances de "Pictures of Yourself" sur le morceau "Son of Bitch") au punk ("When the Rat"). Le groupe sait néanmoins ralentir à cadence à bon escient, nous proposant une version savoureuse de la puissante ballade "Sois Beau Sois Fort", interprétée en concert depuis des années. Si l'urgence du live peut faire défaut sur les premières écoutes, le changement de rythme, le solo, la montée en intensité et la puissance émotive du morceau suffisent à en faire un des moments forts de l'album, voire un des morceaux phares du répertoire des CITY. Plus surprenante, la ballade "What Can I Do", intégralement interprétée au piano, se voit portée par de belles lignes mélodiques et vocales. Il y a ici une certaine théâtralité retenue, beaucoup de pudeur, et les chœurs du refrain nous donnent l'impression d'écouter une bande de potes se réchauffer le cœur et se soutenir dans l'adversité. Une belle réussite.

Les quatre CITY, bien aidés par une mise en son de grande qualité, se sont transcendés sur cet album qui cristallise leur amour d'un rock puissant et intemporel. On ressort de l'écoute de ce nouvel album regonflés à bloc, contaminés par l'énergie communicative qui se dégage de ces titres souvent lumineux, mais qui laissent également une belle place à l'émotion. Tant au niveau de l'interprétation que de l'inspiration, les CITY semblent aujourd'hui au sommet de leur art. Tous les amoureux d'un rock brut et authentique y trouveront ici leur compte.

Pour soutenir le groupe : https://www.helloasso.com/associations/city-woodpeckers/collectes/feel-the-devil-citywoodpeckers