Retournons dans le Toulouse des années 90, à l'époque où l’on comptait les bars ouverts aux musiciens par dizaines. Beaucoup de groupes se rencontraient le soir et partageaient la scène avec d’autres artistes. Les genres se mélangeaient dans une émulation qui a porté les quelques noms qui ont émergé alors, notamment ZEBDA qui a largement écumé la cité gasconne au début de cette décennie, avant de commencer à visiter le pays entier dans le sillage de son excellent Le bruit et l’odeur sorti en 95. A force de faire le bœuf avec d’autres musiciens de la ville puis d’organiser quelques soirées avec eux, deux des chanteurs (les frères Amokrane, plus connus sous le nom de MOUSS ET HAKIM) se lancent dans une aventure parallèle à partir de 1993.

Pendant une petite décennie, ils se produisent régulièrement sur les scènes locales au sein de ce collectif qui a marqué bien des soirées. 100% COLLEGUES, c’est donc Mouss & Hakim, les deux grandes signatures du flamenco toulousain que sont Bernardo SANDOVAL et Serge LOPEZ et quelques autres musiciens du cru venus étoffer le groupe. Ils se retrouvent de temps à autres dans un esprit purement récréatif, lorsque chacun a un trou dans son agenda permettant ensemble de prendre du bon temps à domicile. Pour en garder une trace, la captation d’une soirée est réalisée et paraît sur un disque au milieu de la décennie, en 95 ou 96 d’après les sources. L’objet est fort rare, si je tombe dessus je vérifierai ce point. En attendant, les temps numériques nous permettent désormais d’écouter plus facilement ce témoignage d’une époque.

Evidemment, on entend que les grands moyens n’ont pas étés employés ; le son est assez cheap. Mais à l’inverse, on ressent la grande convivialité du moment. Le public semble vraiment très proche, on n’a pas beaucoup de mal à s’imaginer y être. Cette très bonne ambiance live donne au disque un aspect immédiatement sympathique. D’autant que la musique est franchement ouverte et chaleureuse. Chacun est venu avec quelques chansons dans sa musette. Un tiers de l’album est donc du flamenco mené principalement par Sandoval, dans une approche assez puriste et néanmoins remixée au goût collectif du soir, avec l’accordéon de Jean-Luc Amestoy qui vient lui donner cette pate toulousaine (et parfois un accent latino). Je passe rapidement sur cet aspect, je m’y connais peu et ça n’est pas là-dessus que j’accroche le plus.

De leur côté, Mouss & Hakim sont venus avec quelques chansons kabyles, leur part d’héritage. C’est avec du Slimane AZEM que la soirée démarre de façon parfumée, avant qu'elle soit illuminée plus tard par les notes d’IDIR. Notamment avec cet "Assendu" devenu depuis un incontournable des deux frères. De façon générale, ce disque contient un certain nombre de classiques de leur répertoire en duo. Pour qui les a quelque peu suivis par la suite, on peut facilement constater que leur œuvre personnelle a largement été plus orientée par 100% COLLEGUES que par ZEBDA, bien qu’il y ait de petits accents de ces derniers dans le disque. On s’amuse en particulier en entendant Mouss dire qu’Hakim a tombé la chemise pour se lancer dans le plus funk "Bôdis", charge jubilatoire contre le sinistre maire d’alors, qui figurait déjà sur L’arène des rumeurs (sur des paroles de Claude Sicre, autre incontournable de la scène toulousaine).

Du flamenco, des chansons kabyles, mais aussi quelques morceaux écrits ensemble pour consolider un peu plus cette entité musicale. "Tactic" est une sorte de manifeste de l’esprit du groupe qui préfigure une autre déclinaison de la galaxie ZEBDA, à savoir le Tactikollectif, association culturelle bien connue des Toulousains qui a aussi émergé dans ces années-là. Dans la même veine, on retient le tchatcheur "Raï" où les deux frères régalent, participant par leur énergie communicative à la chaleur de la soirée, et n’ayant aucun mal à embarquer le public avec eux. Le disque, convivial je le disais, se fait aussi régulièrement dansant avec un côté baloche tout à fait plaisant.

De temps en temps, il change d’ambiance pour aller vers des choses un peu plus heurtées, parfois plus engagées. Il y a donc la charge contre Baudis, mais il y a surtout "Saharaoui", en hommage au Front Polisario. Une énergie différente alors s'en dégage, presque tribale, qui renforce un peu plus les liens de l’assemblée du soir. On peut aussi mentionner dans un autre genre "Kazak", moment très entraînant mené par l’accordéoniste. A l’inverse, le traditionnel "Volver" se fait très calme mais a pourtant lui aussi un refrain extrêmement fédérateur. Tiens, voilà un mot qui résume tout à fait la musique ainsi que l’esprit de 100% COLLEGUES. Le disque l’est donc également, bien qu’il ne soit pas celui que je retiens en priorité dans l’œuvre des frères Amokrane hors-ZEBDA. Il est cependant un premier jalon tout à fait appréciable, posant les bases d’un répertoire qui a su allier leurs personnalités et leurs influences avec de nombreuses autres, créant ainsi une musique vivante.