Après plusieurs années à donner de temps à autres des concerts dans la cité gasconne, après l’enregistrement puis la publication d’une de ces prestations, les Collègues décident de créer cette fois-ci un album, un vrai de vrai. Quelques mois après cet été 99 où tout le monde a chanté et dansé sur la chemise des Toulousains, est-ce une manière pour MOUSS & HAKIM de faire retomber la fièvre ? De revenir à quelque chose de plus simple, de plus terrien ? En tout cas, le résultat, davantage apaisant que survolté, peut le faire penser. S’il s’ouvre sur un moment de partage capté en public, la direction que prend ensuite cet album l’amène à se concentrer davantage sur la musique plutôt que sur l’énergie ; j’en suis personnellement assez séduit.

100% COLLEGUES, c’est la rencontre de la tchatche de Mouss & Hakim avec les guitares espagnoles de Sandoval & Lopez, soutenue par quelques autres musiciens du cru (en particulier l’accordéoniste Jean-Luc Amestoy qui s’impose franchement dans cette production). Le collectif sert à sa sauce une alternance d’espagnolades, de standards Kabyles ainsi que de chansons en français écrites pour l’occasion. C’est donc ce que l’on retrouve ici, mais le passage par le studio leur a permis de se mélanger davantage du point de vue sonore par rapport au premier disque, où chacun paraissait rester dans son couloir. Ici, on entend les trois chanteurs se partager "On est venu", l’un des titres les plus sympas des collègues, ce qui permet de profiter en outre du bête d’accent toulousain de Bernardo SANDOVAL, qui nous et se régale plus loin avec la récréative "Ma-ma-ma-ma", également en français.

Cependant, son rayon, c’est l’espagnol. Il nous en fait ici plusieurs démonstrations ; quel superbe chanteur dans son style ! Sur l’enregistrement public, ses morceaux étaient surtout du pur flamenco. Je trouvais que ce côté puriste ne s’accordait pas complètement avec le reste. Or, ici, il y a me semble-t-il une plus grande volonté d’intégrer ces titres dans le son global de l’album. Cela donne des chansons plus intimistes, au petit côté nocturne, de ces nuits où il fait bon rester dehors et chanter ensemble sous les étoiles. Comme le disque est très bien produit, que les arrangements et même les chœurs gagnent en finesse, elles en deviennent de très jolis moments. Le dernier de ces morceaux ("Las alas") relève lui davantage de ce pur flamenco, mais il laisse une place importante à un accordéon plein d’énergie puis à des percussions endiablées et c’est ce mélange qui emporte tout le monde dans un dernier tour de piste.

L’autre facette de l’album est principalement portée par MOUSS & HAKIM, duo excellant dans les moments d’énergie et de partage. On retrouve ces passages tout du long, de la chanson d’ouverture jusqu’à la petite coda finale - un retour à la salle de concert au moment où les deux frères font ce qu’ils savent faire de mieux : chauffer l’assistance. Ces doses d’énergie sont souvent dans les chansons kabyles qu’ils reprennent, partageant ainsi une partie fondatrice de leur culture avec leur public. S’ils ont plus tard développé cette idée (voir l’album Origines contrôlées), ici ces morceaux sont revus à la sauce collègues et profitent pleinement du souffle des guitares de nos deux spécialistes. "Vava vehri" est ravissante, pour ne s’arrêter que sur celle-ci.

Enfin, il y a toutes les chansons en français portées par les frangins. On reconnaît la patte littéraire immédiatement, celle du collègue qui n’est pas là mais a tout de même participé par sa plume, à savoir Magyd CHERFI. Il offre quatre textes qui font forcément penser à ZEBDA, dans sa version tranquille cependant ; celle qu’on a retrouvé quelque temps après avec Utopie d’occase. Ce sont toujours à peu près les mêmes thématiques : souvenirs de jeunesse du quartier, portraits de marginalisés, esquisses de la colère sociale mais aussi de la solidarité collective. Toujours impeccablement écrites, ces chansons ne sont pourtant pas forcément celles que je préfère dans ce disque, on y ressent trop l’ombre du groupe principal à mon goût. Un peu moins l’identité des Collègues, si ce n’est sur "On est venu" qui est une très belle synthèse de tout ça.

L’ombre de ZEBDA, on l’a forcément en tête en replaçant le disque dans son contexte. Le groupe a connu un trop grand succès pour lui, dont il entame à peine la digestion. Celle-ci amènera à une certaine forme de remise en question avec Utopie d’occase, mais surtout à l’éloignement de ses membres. Cette pause ouvre alors la voie à des albums en solo (enfin duo) de MOUSS & HAKIM ; 100% COLLEGUES en fait les frais au passage. Il y a d’abord eu probablement moins de disponibilités pour jouer ensemble avec les sollicitations de la grande époque de ZEBDA, puis une envie de faire autre chose après le split. Il est certes arrivé que le collectif se reforme le temps d’une soirée, mais ce disque est en réalité une sorte de conclusion de cette aventure singulière. Celle de musiciens qui venaient de partout et qui se sont retrouvés là, à Toulouse, pour simplement jouer ensemble. Sans vraiment d’autre considération que de se faire plaisir et d’en faire profiter celles et ceux venus les écouter. Cette forme de sincérité s’entend toujours bien dans ce disque.