Il faut d’entrée de jeu se faire une raison : non, les BLACK CROWES ne sont plus une entité collective comme à la grande époque. Ed Harsch est décédé, Marc Ford n’a pas été convié à la reformation (il aurait refusé), Steve Gorman est blacklisté suite au linge sale déballé dans son bouquin*, seul Sven Pipien a été rappelé (et encore, pas initialement). Les frères Robinson ont fait une OPA, c’est ainsi. Chris a même tenté de piquer la part du gâteau de Rich, c’est dire. Mais ces deux-là ne sont-ils pas l’ADN du groupe ? Les mercenaires défilent derrière eux, déjà deux claviéristes, trois guitaristes et trois batteurs (sans qu’aucun ne retrouve hélas le swing de Gorman).

Autre rappel : s’il y a un truc commode avec les BLACK CROWES, c’est qu’on ne peut pas leur reprocher de ne pas réinventer la roue, ils étaient déjà coupables de faire dans le revival dès leur premier album. Du coup, restait à voir si les frères en avaient encore dans les flight cases et ne s’étaient pas reformés uniquement pour des raisons pécuniaires après une tournée nostalgique passée à reprendre l’intégralité de Shake Your Money Maker.

Le premier single « Wanting and Waiting » sorti en amuse-bouche cochait toutes les cases pour satisfaire les fans en embuscade. Ligne de chant des couplets identique à celle de « Jealous Again » sur un riff enfanté suite à un coït entre les STONES et AC/DC, luxueux chœurs féminins évoquant The Southern Harmony, la prise de risque est quasi nulle mais quand le résultat est si probant, on s’incline et on savoure, il n’y a pas de mal à se faire du bien.

L’album paraît, les écoutes s’enchaînent et ô ravissement, l’amuse-bouche n’avait rien d’un cache-misère. Les frangins Robinson livrent avec Happiness Bastards un recueil concis de dix chansons très bien troussées et exécutées avec un entrain non feint. Rich a perdu deux kilos (pas plus) et ses riffs ont retrouvé une immédiateté perdue lors de la parenthèse MAGPIE SALUTE**. À l’inverse, le freluquet Chris s’est un peu empâté et s’il n’est certes plus aussi inflammable qu’à ses débuts, il n’a rien perdu de sa gouaille. « Rats and Crowns », « Dirty Cold Sun » défouraillent dans les règles, les ballades « Wilted Rose » et « Kindred Friend » sont encore inspirées et « Cross Your Fingers » convoque avec réussite les accents funky explorés avec des résultats mitigés sur Lions. L’enthousiasme retombe quelque peu avec un « Bleed it Dry » à la formule slide/harmonica par trop éculée mais qui a le mérite de ne pas s’éterniser.

Calmons-nous, ce nouvel album n’ira pas s’inviter sur le podium squatté par les trois premiers opus mais il fallait frapper fort pour balayer les réserves et les frères ennemis l’ont fait. Quinze ans après leur dernière livraison, les BLACK CROWES ont cessé de se prendre pour les GRATEFUL DEAD pour recentrer le propos sur leur héritage Stonien. Happiness Bastards devrait d’ailleurs sûrement plaire aux grincheux qui se sont pincés le nez à l’écoute du dernier ROLLING STONES.

* Hard to Handle, the Life and Death of the Black Crowes, savoureux récit dans lequel le duo dysfonctionnel et toxique Robinson prend très cher.
** Ne pas négliger pour autant le premier album studio High Water I qui dévoile sa finesse d’écriture au fil des écoutes.