Belated Movements for an Unsanctioned Exhumation August 1st 1984 est le deuxième album de l’Anglais Richard Skelton, ici sous le nom de The INWARD CIRCLES.

Skelton explique que ce titre fait référence à l’homme de Lindow, un des nombreux corps découverts dans les tourbières en Europe du Nord, au XXe siècle ; ce faisant, il poursuit un thème archéologique qui a été abordé pour la première fois en 2013 dans sa collaboration avec Autumn Richardson, intitulée Succession. En particulier, c’est la dernière composition de cet album, "Relics", qui peut être considérée comme le point de départ d’une grande partie du futur travail de The INWARD CIRCLES. Mais, poursuit-il, alors que "Relics" traitait des restes de pollen submergés sous les tarns dans les hautes terres reculées de la Cumbrie, Belated Movements évoque un paysage funéraire particulier.

Les différents albums de Skelton traduisent sa préoccupation pour la décomposition et la transformation ; la matière sonore brute, le minerai musical en quelque sorte, provient essentiellement d’enregistrements vierges de violoncelles et de violes, lesquels sont ensuite soumis à divers processus destructeurs. Sur l’album suivant And Right Lines Limit And Close All Bodies (2017), ce processus sera poussé encore plus loin car sur Belated Movements le son acoustique des instruments n’a pas totalement disparu, celui-ci étant perceptible. Le processus de destruction et de résurrection sera totalement achevé dans son travail ultérieur. On a donc sur Belated Movements des textures bien plus charnelles avec des résonances ou vibrations plus naturelles, là où And Right Lines nous emmène vers les terres de la musique électronique ’pure’, signifiant par conséquent leur anéantissement définitif.

Belated Movements est décomposé en trois mouvements de plus de 28, 18 et 14 minutes. Sur le premier, "Petition For Reinterment", l’intensité des instruments va crescendo, un peu comme ce qu’on retrouve souvent dans le post-rock, entre ceux opérant au premier plan et ceux œuvrant à l’arrière-plan. Tout va ensuite être progressivement porté en fusion afin d’obtenir un magma de drones, d’autres spectres sonores faisant également leur apparition ; et c’est donc à mi-chemin que l’on comprend mieux ce que Skelton veut dire lorsqu’il évoque une musique liée à la terre. Sur l’autre versant de "Petition For Reinterment" le drone plus crissant finit par s’étioler puis mourir dans des souvenirs de vapeurs industrielles, les dernières minutes nous perdant dans un inexorable sentiment de vide quelque peu sinistre.

"To Your Fox-Skin Chorus" voit les instruments prolonger leur cheminement mécanique, mais les vibrations tournent aux grésillements, les drones sont poussés vers leur côté spectral, ils émettent des cris torturés alors que d’autres ne semblent être rien d’autre que des résonances fantomatiques d’une vieille ruine hantée et au travers de laquelle soufflent des courants d’air glacés. Vu de loin ce mouvement est une symphonie des ombres dont les musiciens sont des âmes mortes. Plus intense que le mouvement précédent, le travail n’en est que plus captivant encore. Cette plage mérite à elle seule l’achat de l’album.

Le dernier "Canis, Lynx, Ursus: Awake, Arise, Reclaim" va, comme le premier mouvement, aller nettement crescendo et c’est possiblement le plus tellurique des trois et celui qui nous amène le plus dans le passé avec les instruments qui fleurent bon l’acoustique et où l’on croit discerner derrière eux l’homme et ses instruments folkloriques ; on a parfois l’impression de se retrouver dans l’univers de Nils Økland avec ses fiddles. C’est aussi le plus joli des trois mouvements au cours duquel s’égrènent six notes de piano qui finissent englouties dans ce maelström de drones. Là aussi, c’est une performance à saluer. C’est une musique qui nous rapproche de la terre, de la nature, des forêts, des montagnes et plaines battues par les vents et les hivers rigoureux. C’est aussi la neige qui tombe en gros flocons sur les forêts de pins.

Belated Movements for an Unsanctioned Exhumation August 1st 1984 est à la fois un décor, une exploration, un travail d'archéologie, un retour vers le passé et la nature. C’est un travail particulièrement enthousiasmant qui touche à l’expérimental, à l’ambient, au drone ; il est parfois dark, parfois joli, mais toujours mélancolique, immersif et captivant. Réaliser une œuvre telle que celle-ci à base de simples bribes d’enregistrements de violoncelles et d’autres petits instruments doit être salué.