Au milieu des années 80, rien ne va plus chez les ROLLING STONES. Ils continuent pourtant, mais du bout des doigts, et entre 1983, année d'Undercover et 1986, celle de Dirty Work, ils ne partent pas en tournée. La résultante est que Mick Jagger commence à vouloir se faire un nom tout seul, souhaite le voir sur des pochettes d'albums, à son tour. Malgré la réaction d'un Keith Richards vent debout, il n'est pas le premier ! Bill Wyman puis Charlie Watts ont déjà tenté l'expérience, en live ou non. Mais voilà, Jagger-Richards, c'est cette amitié forte de plus de vingt ans, désormais contrariée par des jalousies diverses, des divergences artistiques. À côté d'un Keef bavard et maugréant, ce cher Mick garde toujours des allures de grand seigneur. S'il était parti en tournée solo, son meilleur ennemi, en bon pirate, avait assuré qu'il lui aurait tranché le cou !

JAGGER, à qui l'on peut mettre les majuscules comme le veut la tradition F.P quand il s'agit d'artiste principal, veut donc faire autre chose et s'entoure d'un plein-plein de musiciens pour son album She's the Boss, avec une pochette aussi éloquente (que serait un chanteur des ROLLING STONES sans tournure sexuelle apparente ?) que terne (résultat médiocre, c'est tout). Produit par le tandem Bill Laswell-Nile Rodgers (tête pensante de CHIC et maître de la guitare funk), l'ensemble de neuf chansons voit se succéder des gens de marque aussi divers que Jeff BECK, Pete Townshend (ex et futur The WHO), Bernard Edwards (autre moitié pensante de CHIC avec Rodgers), Michael Shrieve (ex-SANTANA), Sly DUNBAR & Robbie SHAKESPEARE (stars jamaïcaines du reggae comme du rock), Herbie HANCOCK, les claviéristes John Bundrick (fidèle à Townshend) et Guy Fletcher (à Mark Knopfler), ainsi que des musiciens favoris d'Elton JOHN, Ray Cooper pour ses percussions et Paul Buckmaster pour son orchestre.

En soi, c'est un véritable album de chanteur sans son groupe habituel, mis à part que JAGGER a un atout pour lui : il compose. Pas tout seul, pas toujours, comme en témoignent deux titres en collaboration avec Carlos Alomar (guitariste connu surtout auprès de David BOWIE), et même un troisième qui rapporte une moitié de royalties à Keith Richards. Ce dernier est placé en ouverture, histoire de n'être point trop dépaysé. "Lonely at the Top" est un rhythm'n'blues guitare en avant certes, avec Pete Townshend qui s'essaye à un style différent de ses habitudes, tandis que HANCOCK et Fletcher font quelques merveilles respectivement à l'orgue Hammond et au piano électrique. Toutefois, Mick JAGGER a beau vociférer, rien de très éclatant ici. De même que les titres les plus soft portés par Nile Rodgers, "½ a Loaf" et "Secrets", malgré là encore des interventions tranchantes de six-cordes qui font de leur mieux.

D'autres morceaux plus groovy, comme "She's the Boss" (complainte drôle et sous vitamines de l'homme dominé) ainsi que "Lucky in Love" ne sont pas éclairés par Rodgers, mais plutôt par Eddie Martinez ou même Jeff BECK. Et comme "Running Out of Luck" qui partait pourtant d'une bonne idée avec son pattern de boîte à rythmes répétitif, ces morceaux laissent tout de même la sensation continuelle de tourner en rond, à vide pendant leurs conclusions surtout. Quelques bonnes guitares et bons refrains, voilà. Le meilleur de l'album réside en son coeur, avec d'abord le slow "Hard Woman" joli comme tout, Townshend à la guitare acoustique, BECK à la lead roulante, cordes de Buckmaster et un JAGGER bon prince qui se dit que c'est assez, qu'il doit la laisser partir faire sa life comme elle le veut, sans trop d'excès.

Porté, comme le morceau-titre, par la rythmique de SLY & ROBBIE, "Just Another Night" fait montre d'une pop groovy de qualité. "Turn the Girl Loose" joue la carte shuffle séduisante, avec JAGGER qui use de différents registres vocaux de manière comique, qui plus est rejoint par la seule intervention féminine (Alfa Anderson pour un rap de qualité) à la fin, moment rare dans un album où, vu le thème abordé au premier contact, on attendait davantage de ce genre. Idem d'ailleurs du saxophone (baryton) de Lenny Pickett (TOWER OF POWER), seule marque de cet instrument notable ici, en comparaison aux ROLLING STONES là encore. Malgré tout cela, difficile à cette heure pour Mick d'exister vraiment en dehors, par cet album qui certes obtient des classements honnêtes (6ème au Royaume-Uni, très bon accueil aux Pays-Bas ou en Suisse), mais sans tube franc et demeurant suffisamment anecdotique pour ne pas susciter la réécoute faite de plaisir.