À croire que Mick a vraiment décidé de faire criser son vieil ami Keith ! Pas plus de tournée pour les ROLLING STONES en 1986-87 qu'en 83-84, et un deuxième album solo déjà sur le feu, conforté par le succès du premier. Keith lui en veut mortellement, mais pas de panique, une séparation nette n'est jamais en vue et le tandem se rabibochera sous le soleil des Caraïbes d'ici quelques mois ; en plus, master Richards finira lui aussi par avoir sa propre carrière à son nom.

Peut-être néanmoins ce qui donnera l'excellent Steel Wheels (1989) a-t-il été aidé par l'échec commercial relatif de ce second JAGGER tout seul, à savoir Primitive Cool sorti en 1987. C'est sûr, vu le bon accueil réservé à She's the Boss en 1985, quand on a la conviction de pouvoir exister indépendamment, pourquoi ne pas réitérer la chose ? Sauf que le public est un peu volage : un coup, il suit, mais pas forcément le suivant.

Cet opus-là est enregistré en grande partie aux Pays-Bas et déjà un peu aussi à la Barbade, JAGGER y possédant une maison de vacances justement, où les ROLLING STONES réaliseront leurs pourparlers et futurs élans créatifs. Niveau production, c'est un travail partagé entre lui, Keith Diamond et monsieur Dave Stewart, moitié des EURYTHMICS, reconnu suffisamment pour commencer à être engagé un peu partout.

Parmi les musiciens, une liste longue encore quoique moins luxuriante que sur le disque d'avant. Seul l'immense Jeff BECK garde son poste aux guitares lead, avec aussi G. E. Smith. Aux marmites, se succèdent les fiers cogneurs Omar Hakim et Simon Phillips, s'il vous plaît, tandis qu'aux claviers, Greg Phillinganes est de la partie entre autres noms. À la basse goulue et groovy (là où l'on retrouve le mieux les éléments funky de She's the Boss), c'est pour bonne part Doug Wimbish de LIVING COLOUR, et d'ailleurs dans le tas de guitaristes rythmiques (outre Stewart), du même groupe en vogue, on rencontre Vernon Reid. Quelques cuivres plutôt discrets, mais pour invité de marque sur un titre, le saxophoniste David Sanborn, et un résultat bien différent du Bobby Keys chéri des STONES. Enfin, des Irlandais CHIEFTAINS, le piper Paddy Moloney et le fiddler Sean Keane.

C'est donc, rien qu'avec la tracklist, un nouveau cocktail d'humeurs diversifiées au gré des titres tous composés par JAGGER et presque seul (Stewart l'assiste sur trois d'entre eux). Et dans les années 80 flambantes, la production facilite l'apport massif des programmations mais parvient à ne pas sonner trop froid et a même déjà un coup d'avance sur la production rock de la décennie suivante. Notons d'ailleurs la pochette ultra indigente, qui n'a sans doute pas aidé au succès de l'album, mais qui au moins a le mérite de faire sourire un peu par rapport à celle, comparable, d'un futur album noir de METALLICA, léché et mastoc à sa façon.

Ah, ces bonnes grosses rythmiques – vu le background choisi, difficile de faire autrement – présentes dès "Throwaway", ces flamboyances de guitar-hero – et pour cause, là aussi ! Ce registre dans ce contexte, bizarrement, convient à la voix de JAGGER tout autant que le son classique et mieux connu dans son groupe premier. Les touches de violon irlandais s'immiscent joliment dans ce titre crachant le mal d'une potentielle rupture (on se demande avec qui ?). "Radio Control" reprend la même idée dans sur un ton bien binaire et une ambiance à l'américaine de nouveau, mais il y a un peu plus de pilotage automatique.

Idem pour "Peace for the Wicked", assez poussif malgré BECK au solo, "Say You Will" avec de bonnes idées mais qui tourne en rond. A contrario, autant l'intro planante-sucrée de "Primitive Cool" est superbe, avec un petit duo JAGGER-choriste femme du plus bel effet, autant la suite n'a plus rien à voir et reste assez difficile à comprendre. On veut nous surprendre avec des éléments funk, world et des parties distinctes, mais sans trop de logique hors paroles. En 1987, la musique pop se retourne beaucoup vers l'Afrique, et ça se ressent à l'écoute ici. Et au rayon world, le petit bijou d'ensemble demeure "Kow Tow", une des co-écrites avec Dave Stewart et à laquelle participe David Sanborn, peut-être la première vraie grande chanson de cette carrière solo.

JAGGER a toujours l'occasion de s'énerver et mener grand train de bons moments musicaux, rock en priorité ("Shoot Off Your Mouth", "Throwaway"), il donne aussi un visage plus mature tout en étant adapté aux influences de l'époque, non sans réussite notable, à travers par exemple une ballade country comme "Party Doll" où plane la cornemuse de Paddy Moloney. Pour les grands hymnes pop enrichis de choeurs, soul etc., c'est un peu à double tranchant : "Let's Work" mené sur un ton groovy possède son charme évident mais un peu trop répété, tandis que "War Baby", power-ballade typique en conclusion, se révèle réussie d'un bout à l'autre, et sur plus de six minutes, cela comprend une intro façon chants grégoriens et une coda instrumentale ! À boire et à manger donc mais au moins, un peu plus de relief qu'auparavant, il y a deux années.