En 1996, le rap sudiste est toujours dans sa phase d’émergence. Pour accélérer les choses, il y a un duo d’ores et déjà emblématique, j’ai nommé OUTKAST. Eh oui, le vent souffle du côté d’Atlanta grâce à André 3000 et Big Boi qui vibrent tranquillement en capturant l’essence du Dirty South dans leur musique en y apportant leur propre touche : singularité, esprit de rébellion et une alchimie dingue entre les styles des deux rappeurs.

Forts de leur succès récent, les deux amis s’éclatent en studio en débutant la création d’ATLiens, leur deuxième album. L’approche y est plus expérimentale que sur Southernplayalisticadillacmuzik, montrant qu’OUTKAST n’est pas du genre à traiter le rap du Sud de façon classique. On l’entend dès l’intro quasi spirituelle "You May Die", avec des sons spacey mêlés à la guitare acoustique, ou sur le titre "Two Dope Boyz (In A Cadillac)" dont le beat gorgé de basses profondes et d’une batterie désormais mythique nous transporte illico dans cette signature sonore où les sonorités psychédéliques rencontrent le sud profond.

Le single éponyme "ATLiens" qu’ils produisent eux-mêmes est excellent et reste à ce jour l’une des meilleures chansons d’OUTKAST. Une instru plutôt minimaliste nous hypnotise alors que les deux MCs rappellent leur statut d’outsiders avec un titre sacrément bien trouvé, tout en signifiant leur fierté pour Atlanta. "E.T. (Extraterrestrial)" est un autre morceau qui partage ce même message (Out of this world like E.T./Coming across ya T.V./Extraterrestrial straight from ATL) dans une ambiance assez étrange sans aucune batterie mais pleine de basses éthérées, contribuant à créer cette ambiance planante qui nous fait voyager sans bouger.

Beaucoup de chansons sont joliment chill car quand les beats sont bons et les flows mélodiques, nul besoin d’en faire trop : "Wailin’", "Ova Da Wudz" ou encore "Decatur Psalm" et "Babylon" avec leurs choeurs soul. Musicalement, les productions sont assez loin des clichés du Dirty South qu’on pourrait avoir. Des claviers discrets de "Mainstream", à la batterie old school du titre "Millenium" sur lequel OUTKAST imaginent les inquiétudes de l’ère post-2000 (Me and everything around me is unstable like Chernobyl), les rythmes complexes que Big Boi et André 3000 débitent témoignent d’une ambition artistique consciente, qui ne passe pas par ce ton bling-bling ou conflictuel toujours très apprécié dans le rap game.

"Jazzy Belle" est un single qui se teinte de sonorités R&B atmosphériques très décontractées et qui met bien en valeur l’utilisation des scratch encore très présents à cette époque comme sur "Wheelz Of Steel", un titre complexe qui reflète l’amour du groupe pour le hip-hop et la culture du DJing. André 3000 et Big Boi nous livrent une réflexion introspective sur les hauts et les bas de leur progression dans l’industrie sur le single "Elevators (Me & You)" dont ils assurent la production. On bascule une fois encore du côté trip-hop avec une ambiance des plus psychédéliques et des échos quasi-dub.

Le morceau final, "13th Floor/Growing Old", conclut l’album sur une note méditative en deux parties. Pour la dernière fois sur ce projet, Big Boi et André 3000 mélangent poésie, flow et sagesse sur une instru aux multiples bulles de bong où ils expriment toujours leur différence par rapport aux autres acteurs du rap game (And I choke when the food they serving ain’t tasting right/My stomach can’t digest it even when I bless it/I’m confessing one more lesson from the South, we in the house tonight).

Avec ATLiens, OUTKAST nous sert un album désormais culte qui s’écoute facilement, sans devoir sauter de chanson. Les combinaisons musicales sont parfois surprenantes tout en restant harmonieuses. Le style excentrique du groupe est une représentation subtile et avant-garde du Dirty South, grâce à ces basses lourdes et ces rythmes syncopés qui évoquent les racines de la bounce et du crunk. Qu’on connaisse l’univers d’OUTKAST ou qu’on le découvre tout juste, on comprendra pourquoi cet album aux productions innovantes et lunaires conserve une pertinence intacte.

Note réelle : 3,5