Charlie Megira, né Gabriel (Gabi) Abudraham, demeure une énigme. Le chanteur, compositeur et guitariste israélien, dépressif, souffrant de périodes de confusion, s’est pendu en 2016 dans son appartement à Berlin, à l’âge de 44 ans, à côté de sa guitare toujours branchée à son ampli grésillant ; une mort complètement dans un esprit rock, à la Ian Curtis, le leader de JOY DIVISION, dont Megira était admirateur. Mais surtout Megira avait le rock’n’roll et le rockabilly dans la peau, celui de la fin des années 50 / début 60, celui d’Elvis notamment, sa guitare Eko réglée sur la sonorité brillante typique du surf-rock avec ses effets de réverbération boostés à la pédale de slapback echo. Son esprit rock tenait en une phrase : "Dealing with the ordinary in an exotic manner", traiter l’ordinaire de manière exotique ; voilà ce qu’était pour lui le rockabilly. L’homme au smoking est devenu un très bon guitariste malgré le fait qu’il n’avait jamais touché l’instrument avant ses 20 ans. D’un côté il y a Gabriel, de l’autre le personnage de scène, Charlie : ce prénom de "Charlie" est tiré d’une réplique du film Apocalypse Now, le nom "Megira" venant de sa mère.

Cette compilation de 24 morceaux lo-fi - parfois chantés en Hébreu, sortie en 2019 via Numero Group, permet de saisir l’essentiel de la courte carrière du guitariste, entamée à l’aube du millénaire, même s’il me semble indispensable de lui adjoindre - au moins - l’excellent album de 2009 au titre provocateur Love Police puisque, à l’exception de "Elvis Is Not Dead" tirée de cet album, cette compilation ne met pas assez en valeur la facette, enthousiasmante, plus post-punk, grunge/punk, voire trash rock/psychobilly à la The CRAMPS, de l’artiste. Mais ne faisons pas la fine bouche, cette compile a quand même l’avantage d’inclure des travaux solos et de brosser une bonne partie du matériel de sept albums de Megira en groupe ; oui, en groupe malgré le fait qu’il était avant tout un solitaire.

Nous l’avons dit, Megira était fasciné par Elvis et les sixties swingantes ; Boaz Goldberg, un compagnon de route, souligne que "La compréhension de Gabi était extraordinaire, quelque chose que vous n’entendrez jamais de personne d’autre : il a envisagé qu’Elvis portait ces costumes méga-flashy non pas pour briller mais en fait pour se cacher. Aux yeux de Gabi, Elvis a éliminé son corps pour rendre sa voix monolithique".

Nombre des compositions du premier disque empruntent à l’esprit de "Sleepwalk" (1959) de SANTO & JOHNNY, une musique surf aux ambiances des îles, exotiques, à la steel guitar. Ainsi, "Yesterday, Today & Tomorrow" incorpore un clin d’œil au Tango, "The Coochimamas Swingers" contient également des ambiances exotiques brésiliennes, avec une guitare rythmique en fond très Bossa Nova, "The Death Dance Of The Busty Hot Lifeguard Instructor Babe", surf-rock énervé avec sa guitare jouée en trémolo, aurait de son côté trouvé toute sa place dans la BO de Pulp Fiction, "Turn Around" a des allures typiques de slow mélancolique, une mélancolie omniprésente chez Megira...

Parmi les titres phares de Megira on retrouve dans cet album les indispensables "Smile Now, Cry Later", "Alligator Man", "Psychic Youth" 1 & 2. "Smile Now, Cry Later" est une ballade bluesy émouvante avec la voix de Megira et sa guitare noyées dans la réverb’. "Alligator Man" se colore, quant à elle, des paysages du Far West avec ses sifflements à la Morricone.

A côté de cette passion pour le rock’n’roll, il s’est également associé à Michal Kahan (The Hefker Girl) pour leur projet commun Charlie Megira & The Hefker Girl, dans lequel il s’agissait de rendre hommage à deux célèbres groupes auxquels ils tenaient beaucoup : JOY DIVISION et The CURE, et dont des compositions inspired by sont d’ailleurs présentes sur le second vinyle de cette compilation, soit chantées ("Direct Exercice N.1", "Fear And Joy" très NEW ORDER, "Tower Of Tongues", "Nothing"), soit instrumentales ("Dunkel Party", "The Valley Of Tears"). Megira avait également fait une reprise de "Heart And Soul" de JOY DIVISION mais cette dernière ne figure malheureusement pas sur cette compilation.

De son côté, le clone post-punk très réussi "Kiss Of Death", chanté par Kahan, avec son riff de guitare rappelant SISTERS OF MERCY, pourra également faire pencher la balance vers le côté crooner-goth de la formation.

Ne pas perdre son temps semblait être une obsession de Megira, lui qui n’aimait pas les répétitions et s’impatientait lorsque les projets n’avaient pas le goût d’aller à son rythme. Explorer également toutes sortes de possibilités alternatives était nécessaire à son art. C’est possiblement "Tomorrow’s Gone", chantée en Hébreu, qui traduit le mieux cet état d’esprit, sortie sur son premier album Da Abtomatic Meisterzinger Mambo Chic (2001). Dans cette chanson, le crooner, à la voix quelque peu abattue, chante sa complainte, anticipant l’évanouissement d’un futur tant désiré :

אל תגידי אולי (ne dis pas peut-être)
אולי היום, אולי מחר (peut-être aujourd’hui, peut-être demain)
מחר כבר לא בא (demain est parti)
אמרי מהר, מה את אוהבת ? (dis-moi vite, qu’est-ce que tu aimes ?)
אמרי ללב, אבל מהר (dis-le au cœur, mais rapidement)

Le spleen de sa guitare la fait scintiller d’un faux éclat, correspondant de manière prémonitoire à ce qui sera inscrit sur sa tombe : "A sun shining backwards", un soleil brillant à l’envers.

Note : 4.5/5.