S’il fallait parier sur une chanteuse capable de mener de front le revival Britpop, moi je miserais sur Rachel CHINOURIRI. Fille d’immigrés zimbabwéens, elle naît à Londres et incarne ce carrefour des mondes, là où la pop alternative croise l’indie-rock et la soul. Son adolescence, elle la passe en écoutant les SUGABABES, Lily ALLEN, sans oublier COLDPLAY ; et elle suit un chemin désormais bien connu : SoundCloud, puis une signature qui ne tarde pas, dans une grosse maison de disque (Parlophone) chez qui elle sort son premier album studio, What A Devastating Turn Of Events en 2024.

Comme bien d’autres, Rachel raconte le doute, la honte, l’amour. Son style est personnel, hétéroclite. Dès les toutes premières secondes de "Garden Of Eden", on a l’impression que Rachel tire doucement les rideaux d’une chambre encore moite de rêves. Sur une intro satinée de synthés suspendus, CHINOURIRI place la barre là où la bedroom pop rencontre l’expérimental. Rachel bat le rythme derrière sa batterie, les guitares pop-rock fendent le ciel telle une promesse de fissure. On tremble secrètement quand sa voix chaude et cristalline avance sur une mélodie qui ne trompe pas : ici la douceur cache les ruines de la naïveté (My God it’s sinking in/There’s no point in anything).

Changement d’altitude sur le single "The Hills". La guitare électrique éclate sans prévenir, elle est clairement nerveuse et un poil claustrophobe, poussant à fond cette tension latente, façon The 1975, pendant tout le morceau. Même si on a une basse bien épaisse et une batterie saccadée, la voix de Rachel - qui progresse de manière lente mais dramatique - reste le point d’ancrage, en particulier sur ce refrain presque post-punk (Gone with the wind/Pulling the skin off my bones/Cause deep from within/This place that I’m in/Is never-ending).

Ambiance résolument plus pop sur le single "Never Need Me", la rythmique claque et sincèrement ça a de la gueule même si ça sonne un peu comme de la pop-rock de teenager 90’s. Pareil pour le titre "All I Ever Asked" dont la production quasi lo-fi s’associe à une ligne de guitare plus folky et si j’avoue que le résultat n’obtient pas la meilleure note chez moi, je ne peux pas nier un truc : Rachel tord la pop à sa manière avec un éclectisme jamais forcé.

"What A Devastating Turn Of Events" ralentit le tempo et nous offre un moment plus soul/bluesy avec ces choeurs, ces woo-ooh et la voix soufflée de CHINOURIRI. Comme dans le reste du disque, l’équilibre de l’instrumentation est super bien maîtrisé et on retrouve toutes ces qualités dans des morceaux tels que "Robbed" avec ses arrangements un peu plus bruts et dénudés, où Rachel chante d’une voix pleine d’écho, mais aussi dans le mix ballade/rock sauvage de "Cold Call", une hémorragie sonore brillante.

Il fait gris sur la Tamise et dans le coeur de Rachel sur le titre "I Hate Myself", c’est brutal de douceur, le chant est plus nu que jamais et le beat est vraiment sympa, confirmant le fait qu’en plus des guitares captivantes, j’aime beaucoup la batterie mi-feutrée mi-frontale qui accompagne CHINOURIRI tout au long du projet. Sa voix est parfaite dans le titre tout mignon "Pocket" et dans les sublimes harmonies du morceau acoustique "So My Darling". Quant à la ballade "My Blood", elle est extrêmement touchante, peut-être sa chanson la plus intime. De jolies percussions qui militent comme une pulsation, des violons en veux-tu en voilà, c’est tendre et bouleversant, j’aurais même dit diablement beau, si seulement on avait pu s’éviter cette espèce de tension harmonique entêtante à la COLDPLAY…

J’aime les distorsions furieusement grunge présentes dans "My Everything" mais aussi l’atmosphère douce et punchy de "Dumb Bitch Juice" où les cordes sont délicieusement groovy et grincent un peu, tout comme les mélodies. Rachel balance des punchlines sarcastiques (I’m not the type to judge but you’re cheap and you’re basic) mais c’est surtout sur le single "It Is What It Is" que l’écriture de CHINOURIRI claque un max. Menée en grande partie par des sifflements au ton badin (qui rappellent PETER BJORN AND JOHN), des claviers solaires et des percussions pleines d’un groove un peu insolent, la chanson est sans aucun doute la pièce maîtresse de cet album. Désabusée dans des couplets au spoken word posé, enjoué et marqué par cet accent British affirmé (I know what you’re like/Hot and cold, hit and miss, up and down/And a bit of a prick really), Rachel nous sert ses plus belles harmonies pendant les refrains mais surtout, une chanson électrique sur laquelle il est tout bonnement impossible de ne pas avoir envie de danser.

C’est sûr et certain, Rachel CHINOURIRI va continuer de tracer sa route loin des artifices en devenant cette voix pour tout ceux qui cherchent la leur. What A Devastating Turn Of Events dévoile très exactement ce qu’est cette jeune femme de 26 ans : une compositrice fine, une autrice sincère, une artiste complète qui ne cherche pas à faire des hits édulcorés et qui signe ici un autoportrait musical où elle fait cohabiter la tendresse et l’orage. Attention, l’effet est redoutable.