Loaded a toutes les raisons d'être détesté des fans du VELVET. Non seulement il est l'album le plus conventionnel du groupe, résolument commercial (et avoué comme tel), mais il est en plus l'album où l'influence des membres fondateurs est la plus faible en face de la créativité débordante du multi-instrumentiste Doug Yule, arrivé un an plus tôt pour remplacer un John Cale viré et essayer d'apporter enfin un succès commercial au groupe.

Résumé des faits: Le VELVET UNDERGROUND a enquillé trois merveilles en trois ans mais cherche encore le passage en radio désespérément, Moe Tucker enceinte est incapable de jouer, Lou Reed est paralysé par ses problèmes de voix, Doug Yule, en tant que digne requin de studio, abat plus de travail que tous les membres réunis... Ce Loaded semble voué à rester un album anecdotique comparé aux chefs d’œuvres du groupe... Grave erreur de le considérer comme tel! Loaded est certes un album de pop bien loin des folies expérimentales des deux premiers opus, un brin plus rapide que le troisième (éponyme), mais en aucun cas un mauvais album.

J'en veux pour preuve la quadruplette acoustique qui entame l'album. Quatre morceaux aux mélodies finement ciselées. C'est sur "Who Loves The Sun" que s'ouvre ce Loaded. Le titre, qui sonne très BEATLES en début de carrière, est excellent. Sous forme de comptine presque enfantine (pa-pa-pa-paaaaaa), le morceau se moquerait presque d'un mouvement hippie fané en même temps que ses utopies et que son soleil Californien.
Cependant, quelque chose d'inhabituel interpelle l'auditeur... Ce n'est pas notre Lou Reed qui chante, mais bien Doug Yule, qui interprète les trois morceaux phares de l'album ("Who Loves The Sun?", "New Age" et "Sweet Nuthin").

Inquiétudes?

Envolées à l'écoute du deuxième morceau où on retrouve le leader du groupe de retour derrière le micro: "Sweet Jane", sur un riff très basique. A mon sens, c'est la grande réussite de l'album. Lou Reed ne peut être plus "cool" quand il déclame ses couplets avec un sang-froid et une assurance hors du commun. Entre chant et douce narration, le poète rassure! Un ami et moi nous étions d'ailleurs un jour demandé:

«Pourquoi cette merveille n'a-t-elle pas atteint un rang de morceau culte au même titre qu'un "Satisfaction" ou un "My Generation"?»

La question peut être posée! La réponse semble évidente (maudit échec commercial), même si le recul aurait pu apporter une certaine postérité à ce titre. Dommage que non!

Rock n' Roll sans toujours avoir recours à électricité, Loaded sait bouger par moments. "Lonesome Cowboy Bill" et "Rock & Roll" sont de très bons titres rock et pourtant pratiquement dénués de toute guitare électrique, mais qui parviennent toutefois à envoyer des mélodies très entrainantes et très travaillées, où de fines notes de piano viennent parfois soutenir l'ensemble.
En effet, cet album est peut-être le plus élaboré dans l'écriture et la composition que le groupe a su enregistrer. Même si c'est bien Lou Reed qui signe toutes les chansons, on devine que son copain Doug a du sacrément l'aider, notamment quand on remarque qu'il occupe successivement clavier, guitare, basse, batterie et chant.

Quelques curiosités également: "Train Round The Bend" et "Cool It Down" présentent des couplets très sympas, toujours marqués par la patte de ce cher Lou qui se complait de plus en plus dans son chant à la limite de la narration.

Il y bien la complainte "New Age" qui sonne un peu dépressive, et le caricatural "I Found A Reason" pour encombrer un peu l'objet, mais l'émouvant final "Oh! Sweet Nuthin'" remet les pendules à l'heure grâce à un sens de la mélodie et des chœurs très bien maîtrisés, et surtout grâce à une guitare solo exceptionnelle de bout en bout, qui atteint son apogée à la toute fin du morceau soutenue par la batterie énervée et parfaitement calibrée de Doug Yule. Un excellent titre pour conclure un excellent album.

Loaded boucle donc la boucle du VELVET UNDERGROUND d'une manière bien différente de celle avec laquelle il l'avait ouverte: un album partagé entre pop et rock n' roll au son pour une fois remarquable qui a très bien vieilli (on ne peut pas en dire autant de tous les albums de la bande à LOU REED). Aucun grain de folie Velvetien dans cette œuvre: juste un excellent album conventionnel, chargé de tubes ("loaded with hits" comme le voulait la maison de disques), mais toujours chargé d'insuccès.

Quatre albums studio, quatre albums fondateurs, tantôt innovants, tantôt à fleur de peau, tantôt bruitistes... Sûrement le groupe qui peut se targuer d'avoir apporté le plus de choses à la musique rock, ces BEATLES de l'underground tirent donc leur révérence avec classe et élégance.

LOU REED, lui, claque la porte avant la sortie de l'album (pour se lancer dans la carrière solo qu'on connait, cette fois couronnée de gloire), son leadership trop contesté par Doug Yuule qui en profite pour réenregistrer quelques pistes sans l'avis de ce dernier (d'où les morceaux chanté par Yuule). Il sera suivi de près par Sterling Morrison, laissant donc champ libre à Doug Yuule pour s'approprier le nom du groupe et sortir un dernier album solo, mais au nom du VELVET UNDERGROUND. Une tâche qui éclabousse la discographie du groupe par sa médiocrité.
Mais je préfère ne pas considérer ce Squeeze (tel est son nom) comme un album du VELVET. Quelque part, ça me rassure de penser que la carrière de mon groupe chéri s'achève sur ce très bon Loaded

4/5

Coup(s) de cœur: "Sweet Jane"