Die Kleinen und die Bösen (« Les Petits et les méchants ») et son étrange pochette. Une moitié dédiée à la propagande soviétique, l’autre à la deustch-amerikanische Freundschaft et son noir profond. Les deux Allemagne se font face, mais les points cardinaux sont inversés. Au milieu de la pochette, les deux images s’imbriquent. D.A.F. c’est à la fois un rappel des initiales du syndicat nazi (Deutsche Arbeitsfront), et une allusion à la Deutsch-Sowjetische Freundschaft, une association de propagande est-allemande. D.A.F. joue avec les représentations idéologiques et néglige les rivalités de chapelle, comme pour annoncer son parti pris de rire de tout.

Car oui D.A.F. est un groupe à l’humour méconnu. Un humour bite-chatte, ironique, provocateur, absurde, mais un humour quand même. Les paroles de Gabi DELGADO-LOPEZ illustrent à merveille la bouillie électro-punk qui fait encore l’identité sonore du trio de Düsseldorf. Le passé nazi est tourné en dérision sur « Der lustigen Stiefel » et son leitmotiv entraînant : « Der lustigen Stiefel marschieren uber Polen »*¹. Autre thème récurrent de D.A.F., le sexe est présent dans les avances brouillonnes d’ « Ich gebe dir ein Stück von mir »*², ou la vision cynique de « Nacht Arbeit » : « L’érotisme c’est fini. Les machines donnent le plaisir. Le sexe est estropié. Accroissement de l’amour standard. Une production rapide pour une république rapide. L’amour est ennuyeux. » Des paroles éructées avec une rage qui ne sait pas encore se contenir et parasite toutes les autres émotions.

Les meilleurs morceaux sont les plus punks, ceux où la guitare de Wolfgang SPIELMANS et la batterie de Robert GÖRL s’écharpent autour d’un riff et d’une rythmique réduits à leur plus simple expression. Chrislo HAAS a remplacé Kurt DAHLKE aux synthés, parti rejoindre DER PLAN. Sa contribution est loin d’être inoubliable. Les titres plus électro comme « Co Co Pino », « Die Kleinen und die Bösen », « El Basilon » diluent la colère sourde de DELGADO-LOPEZ dans des effets analogiques pas toujours du meilleur goût.

Reste que les progrès accomplis depuis le premier album sont énormes. La production de Conny PLANK, déjà responsable des quatre premiers albums de KRAFTWERK, y est sans doute pour quelque chose. D.A.F. semble avoir trouvé son style dans ce punk incantatoire parcouru d’effets électroniques. La seconde partie de l’album, plus convaincante que le début, en exploite toutes les possibilités. De la marche totalitaire de « Volkstanz » à la folie furieuse de « De Panne », en passent par la mélodie faussement enjouée de « Die lustigen Stiefel » , le groupe joue sur tous les registres.

Die Kleinen und die Bösen est à l’image de la carrière du groupe. Une montée en puissance, puis du gros n’importe quoi en conclusion, avec « Y la Gracia », une reprise méconnaissable de « La Bamba ». Instantané rageur, ce deuxième album aura de quoi surprendre les amateurs de la période EBM de D.A.F. et de ses rythmes faciles. Un bon disque, pour peu que son côté bruitiste et désordonné ne vous rebute pas, où tous les thèmes provocateurs trouvent leur source. Et puis la pochette tue…


*¹ « De drôles de bottes marchent sur la Pologne ».
*² « Je te donne un morceau de moi ».