Si Fous à Lier, deuxième album des INNOCENTS, ne fait pas partie de votre discothèque personnelle, voici un pan complet de la musique pop/rock francophone qui manque à votre culture. Relégué à la discutable place 74 dans la liste des albums indispensables du rock français par le non moins discutable magazine Rolling Stone, cet album témoigne d'une fulgurance et d'une réussite artistique lui conférant de facto le statut de référence d'un style et d'une époque. Si à au moment de sa sortie (1992), le public ne s'y est pas trompé (700 000 exemplaires écoulés, 6 singles extraits, 3 clips filmés), Fous à Lier reste encore aujourd'hui un artefact d'une pop/rock chatoyante et vivace et dont les textes, tout comme la production, ont parfaitement passé le cap des 20 ans.

C'est pourtant dans un contexte difficile que naît cet opus. Après la parution de quelques singles, puis d'un premier album passé inaperçu, LES INNOCENTS peinent à se faire connaître et fidéliser un public. Néanmoins, si Fous à Lier bénéficie d'un succès commercial enviable dès sa sortie, il n'en constitue pas pour autant un album « facile », calibré pour marcher. Il y a évidemment ces tubes, en tête desquels « L'autre Finistère », délectable titre folk « rural » marqué par une mélodie doucereuse et la présence d'un accordéon prédominant. La voix de JP Nataf se fait caresse puis morsure sur ce morceau qui n'est que l'arbre qui cache la forêt, le titre que l'Histoire à retenu. Mais un tube ne fait pas un album. Celui-ci démarre d'ailleurs en trombe, par la ballade acoustique « Un homme extraordinaire » qui résume à elle-seule l'univers des INNOCENTS, tout du moins sur cet album : Une guitare acoustique, quelques cuivres, et la mise en œuvre de mélodies riches et immédiates ainsi que de refrains persistants, permettant à l'intensité d'aller crescendo. Si la formule n'est pas inédite, elle prend néanmoins un nouveau visage grâce à l'interprétation à la fois mesurée et débridée de JP Nataf et ses acolytes.

Plus enjoué, « Je vais à Bang Bang » poursuit dans la veine d'un rock acoustique mâtiné de touches pop. Sur ce morceau, tout comme sur la grande majorité de l'album, les textes parlent de ces âmes perdues, à la recherche d'elles-mêmes, de leur passé ou d'un avenir à construire. Les images évoquées par ces morceaux semblent passer comme au ralenti, et l'auditeur perçoit, derrière les rideaux épais faits de textes désabusés ou optimistes l'ambiance froide et humide d'une petite ville de bord de mer, de préférence hors saison. LES INNOCENTS gèrent parfaitement cette balance entre tristesse et gaité, jonglant de l'un à l'autre avec une facilité déconcertante. « Confessions d'un vieux serpent », « Le paravent » ou « En tapant du poing » se font de formidables ambiances guillerettes pour un road-movie musical. « Mon dernier soldat », « Fous à lier », « Les remorques » se font des titres plus équivoques, mais bénéficient de cette beauté musicale pure et honnête qui les rend complémentaires.

L'album, riche et foisonnant, se termine sur « Marie, prends ton temps », ballade venant boucler la boucle, timide et empathique. Si l'ombre de Francis Cabrel ou Stephan Eicher plane de-ci de là, LES INNOCENTS proposent néanmoins une combinaison inédite d'ingrédients qui font de cet album le meilleur de leur courte discographie, et un indispensable du paysage musical francophone.

Un cadeau pour les oreilles : http://www.youtube.com/watch?v=HxmufqOcEFc&feature=related