Mais que vient faire ELECTRIC LIGHT ORCHESTRA dans les années 80 ? Que vient faire Jeff Lynne dans cette galère ? Le temps de THE IDLE RACE et THE MOVE semble loin. Le punk est venu, puis est reparti. La new wave étend son emprise et se déploie en une galaxie de nouveaux styles musicaux – post-punk, synthpop, néo-romantiques. Dans ce monde hostile où les goûts changent très vite, les dinosaures des 60’s qui ont survécu (parfois en s’épanouissant) aux années 70 luttent âprement pour leur survie, avec plus ou moins de réussite : PINK FLOYD passe sous le radar après un dernier coup d’éclat tandis que les WHO agonisent en poussant d’horribles râles. Seuls les KINKS, au prix d’une terrible mutation hard FM, parviennent à sortir quelques albums controversés mais décents.

Dans ce contexte, E.L.O surprend. En effet, l’écoute de Discovery en 1979 avait laissé craindre le pire. Prévisible, la musique du groupe – avec ses influences disco mal digérées – était manifestement en pilotage automatique. Sur le plan artistique, tout semblait cuit alors même que les chiffres de vente s’emballaient pour atteindre des hauteurs vertigineuses. Mais contre toute attente, Time révèle un sursaut d’inspiration. Malin, Lynne hume une fois de plus l’air du temps et compose un disque étonnant où synthétiseurs et bruitages électroniques se taillent la part du lion. Un peu à la façon de ce que fera ZZ TOP avec l’excellent Eliminator, il tente de ne pas se laisser dépasser par son époque. Et l’album est alors une réussite dont l’ambiance futuriste mélancolique et naïve convient à merveille aux 80’s.

Cette bonne surprise est basée essentiellement sur deux excellentes compositions : "Yours Truly, 2095" est une épatante chanson pop robotique et ludique au refrain envoûtant, tandis que "Here is the News" est transcendée par un riff synthétique dévastateur. A leurs côtés, "Ticket to the Moon" (jolie ballade interplanétaire) et "Hold on Tight", un boogie aromatisé au surf-rock et doté d’un couplet hilarant en français (accroche-toi à ton rêve, quand tu vois ton bateau partir, quand tu sens ton cœur se briser) agrémentent gentiment un album homogène qui ne contient aucun ratage notable. Ainsi, "From the End of the World" (un R&B synthpop) et le reggae outrageant mais jubilatoire "The Light Go Down" sont autant de petites pépites modestes, dénuées d’ambition mais pétillantes et détendues.

Lynne paraît décidément insubmersible et parvient en cette année 1981 à perpétuer un songwriting pop honorable. Il sort de sa besace une poignée de mélodies séduisantes et des arrangements qui, bien qu’un peu cheap, sont parfaits pour ce concept-album et sa science-fiction de pacotille. Le disque s'installe immédiatement au sommet des charts anglais et s’avère avec le recul l’un des plus influents du groupe : tout un courant du rock indépendant américain des années 90 à 2000 – les merveilleux bricoleurs de GRANDDADDY en tête – s’en est inspiré pour ses propres expérimentations lo-fi déglinguées, rendant ainsi un hommage posthume à cette musique chatoyante et un peu kitsch. Avec Time, E.L.O enraye donc momentanément le déclin qui lui était promis. Juste avant de sombrer pour de bon.