Pour les nostalgiques de l’Union soviétique, l’Histoire a pensé à préserver un musée à ciel ouvert : la Biélorussie. A Minsk, le président Loukachenko arbore une belle moustache, le KGB n’a même pas pris la peine de changer de nom et les kolkhozes tournent toujours. C’est dans cette drôle de contrée que le groupe de punk-rock LIAPIS TROUBETSKOÏ n’a pas choisi de naître. Dans les années 90 en plus. LIAPIS TROUBETSKOÏ peut donc difficilement être taxé de punk à roulettes. La Biélorussie, c’est plutôt le tracteur que le skateboard (increvables tracteurs biélorusses, paraît-il). Un peu comme leurs collègues californiens, les gars de LIAPIS TROUBETSKOÏ ne sont pas vraiment des révoltés, en tout cas au départ. A l’image de LENINGRAD en Russie, le groupe pratique un punk-rock festif aux paroles plus que sommaires.

Et puis un jour, au milieu des années 2000, Sergueï MIKHALOK, le chanteur, décide de renoncer au succès facile. D’albums en albums, le son s’améliore et les textes se politisent. En 2009 paraît le dernier album de la « trilogie rouge » entamée avec Kapital : Koultprosvet. Cette nouvelle orientation connaît un véritable succès d’estime dans les cercles indépendants du rock de l’ex-Union soviétique, d’autant plus que les nouveaux albums sont distribués gratuitement sur internet avant la sortie officielle.

Malgré le nouveau ton des textes, le ska-punk de LIAPIS TROUBETSKOÏ est toujours comparable à celui des cousins russes de LENINGRAD : des cuivres, une voix plutôt rauque et des mélodies efficaces. Le groupe a tout de même choisi de varier sa recette pour aérer l’album : le ska-punk basique (« Anarkho-tourist », « Bolt ») côtoie des titres reggae/ska plus calmes (« Mister Lokh », « Roujovyïa Akouliary ») et des morceaux punks plus énervés (« Zombi Roboty », « Niguilist »). La production est très propre et ouvertement inspirée des groupes américains, la folie (biélo)russe pour les cuivres en plus. Koultprosvet est un album bondissant et frais : 37 minutes de carnaval et de joie exubérante pour oublier le gris terne des barres d’immeubles.

Contrairement à beaucoup d’albums du genre, Koultprosvet tient la longueur. On se surprend à réécouter régulièrement des morceaux plus élaborés comme « Sveji Veter » ou « Bourevestnik », qui s’autorisent quelques excentricités au-delà du couplet-refrain habituel. LIAPIS TROUBETSKOI ne verse pas non plus dans l’optimisme béat et livre quelques titres amers, à l’image de « Krasny Fakel », où l’agacement pointe derrière la sarabande des cuivres.

Comme sur Kapital et Manifest, les deux albums précédents, LIAPIS TROUBETSKOÏ a remis au goût du jour l’art de propagande soviétique pour illustrer ses pochettes et moquer l’autocrate moustachu. Le groupe se moque à la fois du capitalisme forcené adopté par le voisin russe et du communisme sénile qui vivote en Biélorussie. En fait, en dignes descendants d’Ilf et Pétrov, nos punks biélorusses s’attaquent à tous les ridicules de la société post-soviétique, filon inépuisable.

LIAPIS TROUBETSKOÏ est un groupe chaudement recommandé aux amateurs de punk-rock nerveux et accrocheur. Koultprosvet reste l’album le plus abouti des rockeurs biélorusses, et celui que l’on trouve le plus facilement en Europe (« facilement » pour un disque made in CEI s’entend). Son achat à tendance à défriser la moustache de Loukachenko, qui ne porte pas le punk-rock dans son cœur, alors on aurait tort de se priver !