LIAPIS TROUBETSKOÏ s’est engagé depuis 2007 dans un défi citoyen de haut vol : se faire expulser de chaque pays de la Communauté des Etats indépendants.*¹ Une sorte de Grand Chelem de la reconduite à la frontière. Ils ont bien entendu commencé par le plus facile, leur riante Biélorussie natale, où leur ska-punk contestataire n’est pas vraiment la tasse de thé du nuisible en chef qui se trouve à la tête de l’Etat. Ils se sont depuis attaqués à un challenge plus corsé : se faire botter le cul hors de Russie. Plus corsé, car il faut compter sur une relative liberté d’expression et sur la stratégie retorse des autorités qui consiste à ignorer tout ce qui crie moins fort que les jeunesses de Russie unie.

Cet hiver, le groupe a mis le paquet en allant jouer sur la place centrale de Kiev au début du mouvement de protestation contre Yanoukovitch. La pilule a eu du mal à passer auprès de beaucoup de fans russes. Le Parti communiste de la Fédération de Russie, qui bénéficie d’un savoir-faire incontestable dans l’art de lancer des cabales contre les artistes, a essayé de faire interdire plusieurs concerts de LIAPIS TROUBETSKOÏ, sous prétexte que les paroles des chansons malmènent les figures historiques de l’URSS et le patriotisme russe. Retraités de tous les pays, réveillez-vous : insulter Lénine n’est plus passible de vingt ans de club copain des bois en Sibérie.

Reste que l’accusation en antipatriotisme a porté dans un pays chauffé à blanc par des médias va-t-en-guerre. Les textes des chansons présentes sur Matrioshka, le dernier album du groupe, font clairement référence à la guerre en Ukraine et aux travers du gouvernement russe. Un message, qui, là encore, a été accueilli tièdement. Si hurler « éteins ta télé » et « tue l’Etat qui est en toi » ne fait plus recette, je vous laisse imaginer l’ambiance qui règne actuellement dans mon pays préféré.

Côté musique (il était temps), LIAPIS TROUBETSKOÏ n’a pas changé d’un iota : du ska-punk ultra-efficace, des compositions courtes et des refrains entêtants. L’incursion dans le domaine du hardcore de l’album précédent a fait un unique enfant perdu : le très dispensable « Tantsouï ». Le parallèle avec KOROL I CHOUT sur « Kotlavan » est plus étonnant, avec un jeu de couplet-refrain à deux voix et un riff sautillant typiques des punks grimés de Saint-Pétersbourg.

Matriochka obtient la mention honorable grâce à deux chansons un peu plus poussées. « Voïny Sveta » d’abord, « Les guerriers de lumière », une ode attachante et triste dont les paroles évoquent en creux les barricades de Maïdan. Evidemment, ceux qui ne partagent pas l’enthousiasme de Mikhalok pour la révolution ukrainienne seront pris de spasmes. A peine plus consensuel, « Tank » est un hymne gaucho dans la grande tradition du groupe.

Avant que la douane russe ne se saisisse du dossier Liapis, le groupe s’est désintégré en plein vol. On ne peut que spéculer sur les raisons de cette rupture, mais il semblerait que les autres membres du groupe ne supportaient plus le côté « gourou idéologue » de Mikhalok. La révolution de Maïdan, qui a évolué en guerre sale dans l’Est de l’Ukraine suite à l’intervention des puissances, ne se prête plus vraiment aux gentils hymnes punks de LIAPIS TROUBETSKOÏ. Matriochka restera donc le dernier album du groupe, un bon album malgré tout.

*¹ La Communauté des Etats indépendants (CEI) est une association de coopération internationale plus ou moins fantoche créée sur les ruines de l’URSS en 1991. Les pays baltes, l’Ukraine et la Géorgie n’en font pas partie. Jeu concours : trouve le point commun entre ces cinq ex-républiques soviétiques.