Nous sommes en 1910, et la bourgeoisie mélomane est de plus en plus friande de mélodies rêveuses. Ravel, Debussy, Satie, Strauss – autant de noms qui ont ouvert la voie à de nouvelles générations de compositeurs ambitieux – donneront un nouvel élan à la musique pour la faire passer à l’aire moderne. Le changement, c’est maintenant.

A 27 ans, Igor Stravinsky a déjà dans son CV une symphonie, un scherzo, une fantaisie et un nom comme chef d’orchestre. Sa formation de compositeur vient essentiellement de Nikolaï Rimski-Korsakov. Plus qu’un leader d’opinion, Stravinsky en fera un maître, au point de lui dédier un Chant Funèbre égaré lors de la privation de ses biens pendant la Révolution Russe (pour plus de détails sur l’évènement, contactez Saskatchewan).

Repéré par un certain Serge de Diaghilev, Igor Stravinsky aura l’occasion d’écrire l’adaptation en ballet du célèbre mythe des terres slaves : l’Oiseau de Feu. Grands moyens, grosse production, et à la clef, succès et cotillons. Jackpot.

Ce n’est pas un hasard si l’œuvre provoqua autant d’enthousiasme. Le compositeur s’appuie sur une base de romantisme et y ajoute subtilement des accents scénaristiques (n’oublions pas qu’il s’agit là d’une musique à programme) et le tout servi à la sauce tonale, valeur sûre qui fait toujours son petit effet. La pièce d’origine comprend dix-neuf tableaux, mais un remaniement en 1919 modifiera son découpage pour le fixer à vingt-quatre.

L’écriture est incroyablement cohérente pour un compositeur d’à peine trente ans. Les motifs, caractéristiques des personnages, sont amenés avec tellement de subtilité que l’on doit s’y prendre à plusieurs fois avant de tous les discerner ; les connexions se dessinent naturellement d’une partie à l’autre. L’œuvre est très progressive et les montées en puissance sont dosées habilement, la finesse d’orchestration est flagrante par l’usage de percussions diverses. Le souci du détail avant tout.

Stravinsky fait ses premiers essais affirmés dans la superposition de thèmes et semble exceller dans la rythmique (trait de personnalité qu’il ne laissera s’affirmer qu’à partir de Petrouchka), le jeune a également un dont dans les atmosphères, choisissant l’accord juste et au bon moment ; il gratifiera son ballet de la « Khorovode des Princesses », de la légendaire « Dance Infernale » ou de l’impressionnante envolée finale.

L’Oiseau de Feu fut salué par les grands esprits de l’époque (Debussy, Ravel, Schmitt, de Falla). Même si le jeune Igor n’affirme pas encore sa véritable patte artistique, son premier ballet sera son œuvre de maturité et confirmera son image auprès d’un public conquis. Etape importante du compositeur, et il fera bien mieux plus tard.