AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

2001 : A Space Odyssey est définitivement indissociable de sa musique. Ou l'inverse. Quoi qu'il en soit, les morceaux de musique contemporaine choisis par Stanley Kubrick pour illustrer le premier chef-d’œuvre ultime de la science-fiction (ou second après La Planète des Singes, à vous de voir). Ligeti, Strauss, et Khachaturian... rien que ces trois hommes ont composé des œuvres parfaitement calibrées pour 2001, c'est un fait. Bien sûr, dans une dimension parallèles, c'est un compositeur hollywoodien qui aurait composé une musique originale pour le film, et elle aurait peut-être eu moins d'influence dans le succès on ne peut plus mérité du film.

Mais cela aurait pu se produire dans notre dimension à nous. Hé oui ! en effet, au début du tournage de 2001, Kubrick décidé de faire appel au compositeur Alex NORTH afin que ce dernier s'occupe de la bande originale. Le bonhomme, ayant déjà travaillé sur Spartacus (avec le succès qu'on lui connait), s'est alors exécuté sans problème, et a alors sorti ses compositions à temps lors de la post-production. Cependant, Kubrick avait alors eu une révélation, et plutôt que d'utiliser la musique de NORTH, le cinéaste/génie décide alors de piocher dans le répertoire classique et contemporain. C'est ainsi que lors de la première de 2001, en 1968, North eut la très désagréable surprise de constater l'absence de sa musique en fond sonore, et ce d'autant plus qu'il n'avait pas été mis au courant. Comme n'importe quel homme sensé se retrouvant dans cette situation, North fut fort frustré et dépité. Certains extraits de la musique furent utilisés dans d'autres films, mais au final, cette dernière fut perdue dans les cartons pendant une longue période...
Elle refait pourtant surface au début des années 90. Dans le cadre de réenregistrements de vieilles BO, la musique perdue d'Alex North est confiée à un autre géant d'Hollywood, à savoir Jerry Goldsmith. Ce dernier décide alors de jouer les partitions de son collègue, et c'est ainsi que fin janvier 1993, il dirige le National Philharmonic Orchestra et enregistre pour la première fois de l'histoire la musique rejetée de NORTH.

A partir de là, un dilemme des plus gênants s'impose : que penser de la BO alternative de 2001 ? En tant qu’œuvre musicale à part entière, elle n'est pas forcément mauvaise. Goldsmith assure également à son poste de chef d'orchestre, sans un quelconque souci. C'est en tant que bande originale que ça dérape. Il n'y a aucun problème à imaginer la musique de NORTH jouée pour un péplum ou un film d'action à gros budget (officiellement, les blockbusters n'existaient pas à l'époque). Pour un film de SF aussi profond et grandiose, elle ne colle pas. Elle va même jusqu'à poser un problème de crédibilité, ce qui aurait été problématique si elle avait été retenue. Comment présenter un nouveau visage de la science-fiction au cinéma, avec ses enjeux artistiques et philosophiques élevés, si la musique est carrément passe-partout ?
Un problème de taille se pose en plus : la sévérité adressée à la BO de NORTH ne serait-elle pas due au caractère sacré et inaltérable de 2001 ? Pour répondre à cette question, l'idéal est encore de regarder le film avec les morceaux du compositeur en guise d'accompagnement. Et là, force est de constater que cela ne sonne pas si mal que ça. En particulier, le thème principal, remplacé par Also Sprache Zarathustra, n'aurait pas dépareillé. En revanche, il a été judicieux de ne pas placer certains morceaux, comme "The Dawn of Man" ou "Space Talk", et de leur préférer le silence. L'impact des scènes aurait clairement souffert, et cela apparaît évident lors du visionnage.

Alex NORTH n'a pas fait un mauvais boulot, mais sa musique était peu adaptée et sonnait trop dépassée par rapport au film. Toutefois, il n'y a pas de doute à avoir quant à sa qualité, qui comme dit plus haut ressortirait bien plus dans un autre type de film. Mais surtout, merci à Kubrick d'avoir éludé cette BO en devenir, même s'il aurait dû être plus élégant.