Kamnem po golove (« une pierre sur la tête ») est le premier disque officiel de KOROL I CHOUT, bien que précédé par une démo qui a acquis le statut d’album au fil des réenregistrements. Reportez-vous à la chronique de Boud kak doma, poutnik… pour obtenir le fin mot de cette mystérieuse affaire discographique. Vous y apprendrez entre autres que le second chanteur Andreï Kniazev et le batteur Alexandre Chtchigolev avaient été envoyés au service militaire lors de l’enregistrement de la première démo. De retour à Saint-Pétersbourg en 1995 après un an passé à crapahuter dans les riantes casernes de l’armée russe, les deux absents rejoignent leurs vrais compagnons d’armes et reprennent le travail de composition.

De nouveau au complet, les bouffons ravivent leur tournée des bars et clubs de l’ancienne capitale impériale. Le matériel présent sur Kamnem po golove est testé pendant plusieurs mois devant un public de plus en plus nombreux. Quand l’album voit le jour en 1996, les cassettes éditées par Kouritsa Records se vendent comme des petits pains. Le punk-rock californien, très populaire alors en Russie, a enfin trouvé son équivalent slave. Plutôt que de s’attarder sur le mal-être adolescent, qui ne pèse pas bien lourd dans un pays livré aux privatisations sauvages et aux magouilles politiciennes, KOROL I CHOUT se bricole un univers loufoque entre horreur et folklore, l’antithèse d’un réel bien terne.

De l’imagination dans les textes, de l’imagination dans la musique : c’est tout ce qui définit les premières années du groupe pétersbourgeois. Il y a plus de riffs accrocheurs et de refrains fédérateurs sur Kamnem po golove que dans la discographie complète de certaines pointures du genre. En fonction de son petit niveau en russe, on reprendra volontiers en cœur les « Bloujdaïout teni », « Prokaznik skomorokh », « Zlodeï i chapka » et autres « Kholodnoïe telo », ou l’on se contentera de hurler « Waaaaaaaaaah opopopopo chapka Gagarine ! » à pleins poumons. Comme sur Boud kak doma, poutnik… le texte des chansons mérite vraiment le détour, avec plusieurs petites historiettes tour à tour drôles et faussement terrifiantes.

Déjà en 1996, KOROL I CHOUT ne se limite plus à un punk-rock efficace. Il y a quelques traces de dub sur certains morceaux (« Kholodnoïe telo », « S tekh por kak on oushol »), mais aussi de rock FM à l’américaine (« V dome soueta », « Maria »). L’évolution la plus notable, néanmoins, c’est l’introduction d’éléments hard rock et heavy metal, sans doute apportés par le nouveau guitariste Yakov Tsvirkounov. Les morceaux les plus réussis sont ceux qui font la part belle à cette orientation, notamment « Lioubov i propeller », « Lesnye razboïniki » et « Maria » en fin d’album. Ces compositions plus étoffées viennent alléger un peu le rythme d’un album qui file sans cela à la vitesse de l’éclair.

Voilà bien le seul léger défaut que l’on peut trouver à Kamnem po golove : dans la plus pure tradition punk, les titres excèdent rarement les trois minutes, ce qui est parfois dommage, vu les excellents riffs dénichés par la fine équipe. Les morceaux plus hard-rock viennent tempérer un peu cette déception, mais ils ont malheureusement presque tous été regroupés en fin d’album. Boud kak doma, poutnik…, où le groupe creuse un peu plus ses trouvailles, est pour cette raison légèrement supérieur.

Kamnem po golove reste un excellent album de punk-rock, énergique, immédiat et inspiré. Sa popularité sera d’ailleurs fulgurante dans les pays de l’ex-URSS, au point d’ébranler le règne sans partage de l’eurodance chez la jeunesse de l’époque. Avec ses textes délirants et ses hymnes braillards, KOROL I CHOUT a ouvert la voie à un véritable renouveau du punk russe, avec Saint-Pétersbourg pour tête de pont.