Ressac des vagues. Echos lointains. Rais de lumière poudreux dans un demi-jour alangui. Puis des pulsations, le tambour d’un cœur. Ça grince, scintille, poudroie. Lignes de lumière qui crépitent sur l’horizon, mettent à jour les creux profonds de l’océan. Torsions de serpent de mer au milieu des embruns. On s’envole enfin.

Walking on a Flashlight Beam est, sous le nom de Lunatic Soul, le quatrième album solo de Mariusz Duda, le leader charismatique du groupe Riverside. Si la formation principale pratique un excellent rock progressif à tendance metal, façon Porcupine Tree dernière mouture, Duda profite de ses excursions en solitaire pour tester des approches plus expérimentales et atmosphériques. Sans renoncer aux peintures ambient qui faisaient la marque des précédents albums, il ajoute sur Walking on a Flashlight Beam un peu de rock à ses tableaux.

Souvent, la ligne des morceaux est claire : un simple crescendo. Le départ ambient s’augmente peu à peu de touches électroniques mystérieuses, d’effets d’écho, de nappes, moirées ou profondes, qui donnent du liant et de la texture. Au milieu des reliefs du paysage, entre ombres et lumière, guitares, basse et batterie, s’invitent ensuite, tandis que l’intensité croît. Walking on a Flashlight Beam est une transe atmosphérique où il faut se laisser porter. Marcher sur le rayon d’une lampe torche est une expérience ascensionnelle.

Il n’y a véritablement pas de mauvais titres et malgré la simplicité de leur architecture, la diversité des couleurs utilisées les rend chaque fois uniques et fascinants. Parfois, ce sont des accents d’electro sombre, urgent sur « Cold » avec un beat et des boucles opulentes, insidieuse sur « The Fear Within », où tintinnabule un glockenspiel entre des faisceaux d’ondes fébriles et des réverbérations fantomatiques de cathédrale. Des sortilèges orientaux se tissent à l’occasion, mystères enjôleurs et capiteux qui font aussi cadence ; « Gutter », « Pygmalion’s Ladder », « Sky Drawn in Crayon ». Les claviers s’assument parfois vintages, comme sur le rock atmosphérique de « Treehouse » et sur le morceau-titre, tandis que les lignes de basse s’avèrent régulièrement diaboliques ; et là, il faudrait citer au moins la moitié de l’album.

Si l’importance de l’instrumentation prédomine, Duda, dont le chant, par la recherche d’un certain velouté, est assez typique du progressif (imaginez un Steven Wilson qui aurait une belle voix), a l’occasion de briller vocalement à plusieurs reprises : « Gutter », avec ses passages alternés voix de tête/voix de poitrine, ou bien « Sky Drawn in Crayon » avec ses harmonies éthérées, notamment. Au cours du voyage, on songe diversement à Pink Floyd, Tangerine Dream, Mike Oldfield et bien sûr à Porcupine Tree, sans que ces augustes références, parfaitement digérées, ne mettent à mal la cohérence d’ensemble : elles viennent au contraire la cimenter. À noter enfin la qualité du son, spatial, qui participe à la réussite de l’expérience.

Avec Walking on a Flashlight Beam, Duda signe l’album le plus abouti de Lunatic Soul. Peut-être faudrait-il encore préciser que c’est censé être un album concept : un homme solitaire, qui, grâce à son imagination, a l’impression de pouvoir marcher sur des rayons de lumière ; mais ça n’a pas vraiment d’importance. Plutôt accessible (on y entre facilement, comme dans une bande originale de film réussie), on y revient pour la beauté de son étoffe sonore. Ambiances fascinantes et émotions délicates : l’un des meilleurs albums de 2014, assurément.