Si cette pochette n’éclaire pas véritablement sur son contenu (bien que…), elle restitue parfaitement l’époque, le Summer Love 67. Si on observe bien le visuel, on remarque qu’un intrus semble s’être glissé à l’extrême gauche, le seul blanc de ce groupe familial.

Alors les Chambers Brothers sont véritablement quatre frangins. Lester, Willie, Joe et George, issus d’une famille de 13 gamins, font leurs gammes dans la chorale baptiste de leur paroisse au Mississippi. En 1952, George, l’aîné, revient de l’armée et s’installe à Los Angeles, emmenant avec lui trois de ses frangins. Les parents sont de pauvres métayers et n'arrivent plus à joindre les deux bouts. Sous l’impulsion de George, le bassiste, la fratrie monte un ensemble de Gospel. Willie et Joe se chargent des guitares tandis que Lester se consacre au chant et à l’harmonica. Au début des sixties, le quatuor prend une nouvelle orientation en ajoutant à son répertoire de fortes touches de Folk. L’environnement de Los Angeles, plus orienté sur le Flower Power et le Folk Revival que sur le Gospel Roots des champs de coton du Mississippi, s’intègre peu à peu dans leur répertoire.

Groupe obscur peu connu, la formation familiale connaît alors un regain de popularité suite à sa participation au Newport Folk Festival 1965. Le quatuor se transforme alors en quintet avec l’arrivée du batteur blanc Brian Keenan*. L’année suivante, le groupe enregistre un album avec la songwriter Barbara Dane, une chanteuse Folk ancrée dans le Civil Rights Movement et ardente militante contre la Guerre au Vietnam. La même année, ils enregistrent deux albums pour le label Vault Records de Jack Lewerke, mais suite à un changement de distributeur, les disques ne connaissent aucun succès.
En novembre 66, les frangins signent un contrat avec la Columbia avec un premier single à la clef. La firme décide alors de placer les frangins Chambers dans les mains du producteur David Rubinson, un ancien de chez Capitol nouvellement recruté par Columbia. Rubinson vient de produire avec succès les Clancy Brothers, une troupe familiale d’Irish Folk et Moby Grape, groupe qui deviendra bientôt une des références du San Francisco Sound.
Les Chambers Brothers prennent le chemin des studios, participant à quatre sessions d’où sont tirés huit titres. Columbia rajoutant les deux titres du 45 T mis en boîte l’année précédente. Les frangins ont emmené cinq de leurs compositions « I Can’t Stand It », un excellent Soul Blues rythmé mené par l’harmonica de Lester et deux ballades banales « Romeo And Juliet » et « So Tired ». « Please Don’t Leave Me », plus conventionnel, s’appuie sur une construction Gospel avec close harmony. Mais c’est « Time Has Come Today », un chef-d’œuvre de Soul psyché long de 11 minutes, qui leur permet d’acquérir une notoriété nationale. Le titre devient vite l’un des hymnes des anti-Vietnam et monte à la 11ème place du Hot 100. Le succès est tel que Columbia décide de publier en single une version préalablement enregistrée en mono et raccourcie à 3 minutes 50 pour intégrer les formats radio de l’époque. Eh oui ... il faut bien vivre! Au fil des années, ce titre flirtant entre Black Power et Soul Psyché sera repris à toutes les sauces (Ramones, Joan Jett, Willie deVille, Neal Morse en Rock Prog et connaîtra de nombreuses versions Punk Rock avec The Angry Samoans, My Dade Is Dead, The Vinyl Junkies, Die Hunns, Corn Doggy Dog). Sur scène, le titre est encore occasionnellement repris par Steve Earle, Sheryl Crow ou Pearl Jam. Le titre intégrera plus tard certaines bandes originales (« White Man » avec Travolta et Belafonte, « Nos Pires Voisins » dans lequel le morceau est chanté par Meshell Ndegeocello, sans oublier le jeu vidéo « Mafia 3 »). Ce morceau figurait également dans un vidéo clip promotionnel de Bernie Saunders, candidat à la primaire démocrate pour les élections présidentielles aux USA.

Au rayon des reprises, le quintet ouvre les débats avec l’entraînant « All Strung Out Over You ». Ils reprennent « People Get Ready », énorme succès des Impressions de Curtis Mayfield, pour une interprétation respectueuse. Le grand orchestre à corde et les violonades présents sur le single original laissent la place à une guitare fuzz et une batterie psyché. Repris à moult occasions, cette version largement supérieure à celles des Everly ou des Walker Brothers ne vaut probablement pas celle de Black Pearl qui sortira cinq ans plus tard, mais offre une écoute agréable. « In The Midnight Hour », hit de Wilson Pickett en 1965, a été mis à toutes les sauces, le vocal de Lester Chambers incorpore un soupçon de Soul Psy pas désagréable. A mille lieues de l’adaptation de notre Johnny National avec « Jusqu’à minuit ». Autre grand moment avec « Uptown » (parfois intitulé « Uptown To Harlem »), un grand titre Funk de Betty Mabry (alias Betty Davis) jamais enregistré par l’ancien mannequin. Les Chambers en délivrent une version axée sur le Flowers Powers. On est cependant loin de la tuerie qu’enregistrera Black Pearl trois ans plus tard. Dernière reprise avec « What The World Needs Now Is Love », une ballade du tandem Bacharach/David popularisée par Jackie DeShannon puis Dionne Warwick, délivrée ici avec une version presque parodique au Summer Love. Difficile de rendre une copie acceptable alors que cette daube est le genre de morceau que Prisunic et autres chaînes du même acabit passent en version instrumentale pour détendre les clients.

Curieusement, si l’album parvient à intégrer les charts (4ème marche des albums Pop et 6ème des classements R&B), le succès de « Time Has Come Today » sonne presque la fin du groupe, les Chambers Brothers étant incapables de renouer avec un tel succès. Entre 1969 et 1974, seules quatre chansons se classent modestement entre la 40 ème et 96 ème place. Les frères Chambers prennent même des routes différentes entre 1972 et 74 tout en continuant à enregistrer une poignée de disques pour AVCO Records. Lester participe à l’aventure de plusieurs petits groupes. Il joue actuellement au sein des Mud Stompers, Willie et Joe deviennent musiciens de session alors que George retourne vers le Gospel. Les quatre frères se retrouvent parfois pour chanter au sein de The Chambers Family Choir. En 2016, George, Willie, Joe et leur neveu bassiste Jerry Warner ont reformé le groupe et se produisent en Californie.
Cet album a été réédité en CD en 2000 par Columbia Legacy Sonny Music Entertainment INC avec 4 titres bonus dont la version single de « Time Has Come Today.

*Brian Kennan était batteur sur « Doo Wah Diddy Diddy » gravé en Angleterre par Manfred Man. Il quitte le groupe en 1971, lassé par les royalties que le manager du groupe ne répartissait pas. Retiré dans le Connecticut, il monte son propre studio tout en travaillant comme menuisier. Il décède en 1985 d’une crise cardiaque à 42 ans.