Les jeunes, faut qu’ils s’occupent. On se fait vite chier à cet âge-là. À Palm Desert particulièrement. C’te bled. Pour les terrains de golf, ça, pas de souci. Mais pour le rock ’n' roll, c’est peanuts. Los Angeles ? Deux heures de bagnole, si on en a une. Isolement. Désolation.

Un beau jour, les énervés du coin ont donc décidé d’aller investir le désert.

Peu de gens qui écrivent sur les « generator parties » y ont effectivement participé. Ce qui en fait une des plus belles légendes urbaines de l’histoire du rock. En gros, il y avait donc, dès la fin des années 80 dans le désert de Californie, des groupes qui jouaient au milieu de nulle part à l’aide de groupes électrogènes. Idéalement, le spot devait se trouver le plus éloigné possible des forces de l’ordre. S'il y avait en plus une piscine vide, c’était le pied. Il y avait de la drogue, il y avait de l’alcool, il y avait des armes à feu. Un samedi soir a priori tout ce qu’il y a de plus normal. Sauf que c’était dans le désert et que les groupes jouaient TRÈS FORT.

KYUSS est un groupe qui a commencé comme beaucoup d’autres : des gars qui se connaissent de l’école, un premier EP enregistré à l’arrache, un nom (« Sons of Kyuss ») qu’on change, un bassiste qu’on vire, etc. KYUSS a joué dans le désert, répété et/ou donné des concerts lors de ces fameuses « generator parties ». Et ça, ça change beaucoup de choses. En gros, ça vous construit un culte qui dure depuis plus d’un quart de siècle.

Quand Wretch (« salopard ») sort au début de l’automne 1991, la même semaine que le Nevermind de Nirvana, seul John GARCIA a l’âge légal pour acheter de la bière au supermarché. C’est ça : les gars qui jouent sur ce disque ne peuvent pas se payer une binouze dans un bar, mais ils sont capables de pondre une entrée comme « (Beginning Of What's About To Happen) Hwy 74 ». Quel gamin de 18 ans (un tant soit peu porté sur la chose) n’a jamais rêvé de plaquer un riff pareil ? Josh HOMME l’a fait. Et il a branché sa guitare sur un ampli de basse, histoire de bien vous retourner les tripes au passage.

Le Desert Rock que KYUSS livre sur son premier album est directement issu de ce qui se passait alors dans les alentours de Palm Desert. Les gamins du coin, pour la plupart, sont fans de punk, frange hardcore. D’où « Katzenjammer », « Love Has Passed Me By » et l’excellente « Isolation », jouées avec urgence et fracas. Mais il ne faut pas oublier l’aspect « jam » du bazar. Et quoi de mieux qu’étirer un bon vieux riff de metal seventies pour labourer l’atmosphère ? Dans le genre « Lourd, Lent, Lugubre », « Big Bikes » (magnifique) n’a rien à envier (et doit beaucoup) à BLACK SABBATH. « Stage III » clôture l’affaire avec la violence qu’il faut pour soulever tout le sable du désert.

A la batterie, Brant BJORK est monstrueux, sans filtre, la charley toujours ouverte de manière à faire un max de bruit. A la basse, Nick OLIVERI joue grave et se paye le riff le plus badass du disque (« The Law »). Josh HOMME, bien évidemment, est le maître du game. Sa guitare apporte déjà le son psyché (les solos sur « Black Widow ») qui deviendra primordial par la suite. Et puis il y a la voix de John GARCIA, toute en rage rentrée. Vous l’entendez chanter, vous savez qu’il headbangue après avoir fini sa phrase. Nos quatre demi-dieux du Stoner (ce qu’ils ne sont pas encore) jouent bien entendu comme si leur vie en dépendait, avec toute la hargne d’un groupe qui enregistre son premier album.

1991, le metal eighties est doucement en train de rendre l’âme et la bouillabaisse alternative est en pleine ébullition. Avec Wretch, on sent bien qu’il y a un truc à faire. Il y a des moins, bien sûr : l’identité sonique du groupe n’est pas encore totalement affirmée, certains titres sont en dessous (« Deadly Kiss » et « Black Widow », tirés du premier EP avec Chris COCKRELL à la basse) et les changements de rythmes sont parfois pas très heureux (« Son Of A Bitch »). Mais quand on connaît la suite de l’histoire, on sait que la formule proposée ici n’allait pas tarder à accoucher de pures merveilles. Alors on attend, on se met en cercle autour des enceintes et on remue le crâne à s’en faire péter les cervicales.