CHARPENTIER n'a que 25 ans ou alentour lorsqu'il compose, supposément vers 1670, la Messe pour plusieurs instruments au lieu des orgues (H 513). C'est la période où il écrit le plus d'oeuvres du même genre, au moins pour la structure et la destination religieuse. À l'époque, il est maître de musique de la duchesse de Guise (qui l'abrite pendant 18 années), deux ou trois ans avant de commencer à travailler également pour monsieur Jean-Baptiste Poquelin alias Molière et sa Comédie-Française.

Une paire de grandes idées de sa carrière se retrouvent à travers cette Messe, même si qualitativement parlant, elle reste une oeuvre « de jeunesse » : le choix du contraste, pour le coup bien marqué, ainsi que le modèle italien dans le traitement de l'orchestre. Il est amusant de constater que, tout admiratif qu'il reste des compositeurs transalpins, Marc-Antoine CHARPENTIER a une certaine longueur d'avance sur ceux qui comme lui, vont prendre des libertés avec cette forme de musique sacrée par la suite (SCARLATTI, PERGOLÈSE).

Le « Kyrie » est aussi convaincant que le « Gloria » peut paraître déroutant. Ce sont les deux mouvements les plus longs, six minutes et neuf minutes. L'ouverture (introït) se fait dans le style nouveau, un air d'orchestre (clavecin, cordes, quelques vents) doux et élégant, suivi par le style ancien, un choeur d'hommes cependant soutenu par un cor d'harmonie, et c'est toujours le cas ensuite. Les flûtes et hautbois s'imposent aussitôt après, et les éléments s'enchaînent de très belle façon jusqu'à une envolée finale en mode mineur (air plus mélancolique) des cordes et clavecin.

Si le « Kyrie » déroule son ensemble avec une limpidité et une excellence continue, le « Gloria » est une sorte de grand chambardement où l'esprit de danse, de « célébration » religieuse est accentué. Ce qui renforce le constraste avec le choeur liturgique, et donne une sensation de déséquilibre, d'autant plus que CHARPENTIER s'amuse pas mal avec les tonalités, déjà à cette époque. C'est surtout que les thèmes proposés ont du mal à remporter les faveurs de l'auditeur, même si l'alternance des deux univers a quelque chose de séduisant, encore avec le recul des siècles. L' « Offerte à deux cœurs » est un thème instrumental léger qui peine à convaincre davantage.

Le derniers mouvements sont courts, et seul le « Sanctus » retient notre attention avec son splendide début aux cordes, ainsi que la mélodie douce du chœur avec le basson. La Messe pour plusieurs instruments au lieu des orgues est intéressante en cela qu'elle bouleverse les codes établis depuis des lustres, tout comme l'introduction du grand orgue l'avait fait en son temps. L'orchestre prend vite des libertés et se détache de la partition du clavier ; on reconnaît, évidemment, quelques liaisons et surtout dans les moments les plus doux.

Néanmoins, l’œuvre se laisse écouter sans passion réelle, en dehors du « Sanctus » et du superbe « Kyrie ». L'ensemble demeure médiocre, plus symbolique qu'autre chose, et même l'interprétation pourtant soignée du directeur Jean Tubéry avec son ensemble baroque La Fenice (quelques « confusions » dans certains pas de danse se remarquent à peine) n'y peut rien changer.