S’il est un groupe qu’il me tient à cœur de couvrir dans les colonnes de F.P, quitte à laisser une part de mon objectivité sur le bas côté, c’est bien Henry COW. Le nom de ce combo anglais restera à tout jamais associé à l’idée d’avant-garde, et il trouve encore aujourd’hui une résonance particulière dans l’esprit de ceux que les musiques nouvelles intéressent.
L’aile radicale du progressif, c'est lui ; un groupe qui défriche et non qui imite, et il faut chercher outre-Rhin (FAUST) et outre-Atlantique (Mothers of invention) pour lui trouver un équivalent probant.
Formé en 1968, le gang aux 'trois chaussettes' mûrit longuement son style et ses objectifs, laissant ses collègues déblayer le terrain ou se fourvoyer dans les impasses les plus diverses. Le groupe de Cambridge est très marqué par les idées d’extrême-gauche et ne dissocie jamais sa pratique musicale d'une conscience politique. Cette volonté farouche de rester à l’écart du système le contraint à l’anonymat durant quelques années, aussi n’enregistre-t-il son premier disque qu’en 1973, avec l’émergence du label (encore) vierge de Richard Branson.
Sa carrière est courte mais dense : quatre albums studio et un live étalés sur cinq ans. Il consacre ses travaux à repousser les limites du rock, et son œuvre se situe au confluent de trois courants : le jazz, la musique contemporaine et l’improvisation. Un formidable laboratoire où l’héritage de Canterbury est nourri d’instrumentations et d’harmonies classiques propres à STRAVINSKI et BARTOK, pour finalement déboucher sur une musique instrumentale hybride, souvent qualifiée d’avant-prog, contraction d’'avant-garde' et de 'progressif'.

Leg End fait preuve d’emblée d’une maturité époustouflante. L’influence de la scène de Canterbury y est encore prépondérante mais s’estompera rapidement jusqu’à disparaître. Saxophone, clarinette, flûte, violon, piano et guitare se taillent la part du lion. Les compositions révèlent un groupe au vocabulaire riche et à l’éventail large, un groupe aussi pour qui écrire de la musique semble n’être qu’une formalité, une base nécessaire mais jamais une fin en soi.
L'album évoque immanquablement le SOFT MACHINE de 1969/70 et le ZAPPA d’[i→Uncle Meat. Harmonies jazz, omniprésence de la section cuivrée et d’une guitare tortueuse qui affirme déjà Fred Frith comme un digne émule de Robert Fripp. La schizophrénie impro/compo, qui marquera les albums suivants, ne fait pas encore l’objet d’un découpage clair, et les parties aléatoires prennent pour l’instant la forme de séquences intégrées aux parties composées, lançant dans l’air comme des moments d’incertitudes, de flottements sans repères, avant de reprendre pied en terres écrites.
Ce premier opus contient pratiquement tous les éléments qui seront développés ultérieurement, à l’exception de la musique classique/contemporaine. S’il ne plonge pas encore les mains dans cette radicalité qui le rendra hermétique, il affiche déjà sa volonté de produire une 'autre musique', à l’écart des modes et des pressions de toute nature. St Graal du progressif ou goutte d’eau dans l’océan rock, selon ce qu’on attend de la musique… un monde à part, dans tous les cas.