Avril 1976.

De retour à Londres et désormais sans bassiste, HENRY COW commence à sonder le marché. Le groupe britannique a dû interrompre un engagement en Scandinavie en tant que quintet, la chanteuse Dagmar Krause étant malheureusement tombée malade. Les quatre membres restants ont ainsi élaboré une stratégie de contournement basée sur deux éléments. Tout d’abord, la préparation de matériel sur bande concernant diverses thématiques et organisé chronologiquement : l’histoire du groupe, la musique de la jeunesse à travers les âges et l’évolution du langage élaborés respectivement par Fred Frith, Lindsay Cooper et Tim Hodgkinson. Chaque bande durait deux heures et était jouée continuellement, qu’elle soit silencieuse ou parfois rendue audible par une pédale de volume. Outre ces bandes, chaque concert arborait également une structure fixe : deux heures d’improvisation continue dans le noir ou à la simple lumière d’une bougie, commençant avec flûte et batterie et finissant par une marche signée de Frith. On retrouve ces éléments consignés sur le glouton document Concerts, premier disque entièrement conçu de A à Z par COW.

La violoncelliste Georgie Born est finalement l’heureuse élue choisie pour remplacer John Greaves. 1977 voit alors le groupe s’embarquer dans une longue période d’incessantes tournées sous un nouveau morphisme : THE ORCKESTRA, issu d’une fusion avec le groupe Mike WESTBROOK BRASS BAND et le chanteur folk Frankie ARMSTRONG. On les retrouve notamment au festival Music For Socialism. En septembre, Dagmar était toujours malade au point qu’elle ne pouvait participer aux tournées. Elle décide de quitter COW en novembre mais accepte toutefois de chanter sur le prochain disque.

En 1978, le vent commence à tourner. De sérieuses dissensions opposent les musiciens au sujet du matériel, considérablement complexifié. Sollicité par Hodgkinson pour orner de mots une imposante nouvelle pièce nommée "Erk Gah", Frith ne parvient qu’à composer quelques courts textes, plus adaptés à un disque de chansons, qui ne saurait toutefois constituer un nouvel album du collectif HENRY COW. Plutôt une nouvelle entité ART BEARS qui se substituera à l’ancienne, dont la fin est programmée mais pas immédiatement mise en œuvre. Seul "Half The Sky" empruntant quelques climats à "Deluge" se voit gravé lors de ces sessions préparatoires en janvier.

Après un tour des théâtres et des centres d’art anglais tous frais payés, COW poursuit son rôle de défricheur pour un temps en organisant et jouant au premier festival Rock In Opposition à Londres en compagnie de quelques noms célèbres : UNIVERS ZERO, ETRON FOU LELOUBLAN, SAMLA MAMMAS MANNA et STORMY SIX. La tournée en Scandinavie qui s’ensuit achève d’exacerber les problèmes et humeurs avec des soucis liés au transport et à l’acheminement du matériel. Georgie Born et l’ingénieur du son Jack Balchin finissent par jeter l’éponge, ne figurant pas dans l’équipe finalisant Western Culture, le quatuor Frith/Cutler/Hodgkinson/Cooper, cette dernière ayant d’ailleurs composé la plupart des titres. Ils sont rejoints par Annemarie Roelofs (trombone/violon), déjà présente au cours de quelques dates avec le ART ENSEMBLE OF CHICAGO.

Western Culture est un album qui sent la fin de règne. Totalement instrumental à la suite des frictions entre les musiciens et sorti sur leur propre label en raison d’un litige avec Virgin, son engagement politique transparaît toujours dans les titres (le déjà cité "Half The Sky" aux guitares très KING CRIMSON empruntant son patronyme à une citation attribuée à Mao, l’évident "The Decay of Cities", appel syncopé à la chasse au renard ou combat à mort dans une usine de métaux) ou dans la pochette géométrique et colorée sur laquelle figurent des éléments chers au communisme, visuel conçu par le batteur Chris Cutler, après qu'il a été proposé sans succès au dessinateur de cartoons Don Martin et que la proposition de Ray Smith, auteur des précédentes illustrations, a été refusée.

Musicalement, les structures mouvantes sont évidemment convoquées en même temps que des bruits et signatures étranges. Dans la plus pure tradition COW, peut-être poussée un cran plus loin au vu de l’humeur générale jusqu’au-boutiste et dénuée de pression puisque la fin a été entérinée auparavant. "Industry", ouverture crasseuse, fait planer une sourde et louche menace dans la pénombre pendant qu’on ne l’observe pas. L’excellent "Gretel’s Tale" expose des vents comme étouffés, venant sans doute du fin fond du four résidant dans la cuisine de la sorcière. "On The Raft" pratique presque la flamboyance qu’on peut observer dans le big band jazz si ce n’est son aspect éminemment louche.

Les têtes se tournent vers le futur projet ART BEARS, pop médiévale difforme que se charge d’ores-et-déjà d’annoncer "Falling Away". En attendant cela, le dernier concert de COW se produit le 25 juillet 1978, soit il y a 44 ans à la Piazza del Duomo à Milan. On rapporte qu’un dresscode particulier concernant les chaussettes avait été mis en place, en même temps qu’un cocotier saturé de crabes.